La «Françafrique» est comme Charles de Gaulle: enterrée. Ce surnom désignait, depuis des décennies, le pré carré africain de la France, composé de pays qui furent jadis les colonies de la République.
Le résultat de conquêtes militaires, puis de liens économiques et politiques tissés au fil de la décolonisation, sous la protection de quelques parrains africains de l’influence française comme le Sénégalais Léopold Sedar Senghor (1906-2001), l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), le Gabonais Omar Bongo (1935-2009) ou, plus récemment, le Burkinabé Blaise Compaoré, le Tchadien Idriss Deby (2006-2021) et le Congolais Denis Sassou Nguesso.
Cette Françafrique de Papa, Emmanuel Macron n’en veut plus. Il l’a redit lors d’une conférence de presse à l’Élysée ce lundi 27 février, avant de s’envoler ce mercredi pour cinq pays d’Afrique centrale (Gabon, au Congo-Brazzaville, RD Congo et Angola). Morte. Enterrée. Avec ses rentes, ses compromissions, son «assurance vie» qu’elle procurait à des régimes autoritaires et corrompus.
Plus question, pour ce président quadragénaire qui fit, jeune fonctionnaire, un stage au Nigeria, que la France soit «le bouc émissaire». «Nous avons destin lié avec l’Afrique, a-t-il martelé. Mais nous y clôturons un cycle de notre histoire.»
Ne plus se faire accuser
L’objectif est simple, à l’heure où les militaires français doivent maintenant quitter leurs bases du Burkina Faso, après avoir été jetés dehors par les autorités du Mali, ce pays qu’elles étaient venues sauver en 2013 de l’offensive éclair des djihadistes.
Plus question, pour Emmanuel Macron, de voir Paris être accusé «par amalgame» avec le personnel politique local discrédité. Les bases militaires permanentes françaises (au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Niger) ne seront pas fermées. Elles seront «reconfigurées» et «africanisées», avec moins de présence tricolore. Elles deviendront des points d’appui européens, en coopération avec les armées nationales.
Soit. Mais comment parler aux Africains en 2023, avec des promesses de «reset» et des mains plutôt vides, sans s’attirer les foudres d’une jeunesse qui n’est plus dupe des paroles et ne croit plus aux lendemains qui chantent du côté de la France?
Comment parler, comme il l’a fait ce lundi «d’engagement pour la démocratie» alors que Paris est de plus en plus réduit à un rôle de spectateur? Comment convaincre les autres pays de l’Union européenne d’accompagner la France, ce qu’Emmanuel Macron a jugé indispensable en réponse à une question de Blick: «Ces bases militaires européennes se feront sur la logique de l’offre. Qui veut quoi? Comment peut-on travailler ensemble?»
Le grand retournement macroniste
Le paradoxe est qu’Emmanuel Macron a initié ce grand retournement. D’emblée, sitôt élu en mai 2017, le nouveau chef de l’État français avait, lors d’un discours à Ouagadougou, promis de tourner la page, entouré d’un conseil africain avant tout composé de personnalités issues de la diaspora, supposées le connecter davantage aux jeunes restés là-bas, en attente de visas et prêts à franchir la Méditerranée au péril de leur vie.
Échec de diagnostic et de stratégie. La question n’est pas celle des liens, nombreux et ténus, entre la France et cette partie de son ancien empire. Le seul sujet qui compte est celui de l’avenir.
Or les sommes que Paris est prêt à mettre en jeu ne souffrent pas la comparaison avec celles de la Chine, constructrice à tout va d’infrastructures payées par le surendettement des États. Et quid des garanties de sécurité à court terme offertes en République centrafricaine ou au Mali par le groupe russe Wagner, «ces mercenaires criminels qui sont l’assurance vie de régimes défaillants et de putschistes» selon Emmanuel Macron?
Une Europe derrière des murs
L’équation des jeunes africains et de leurs élites est malheureusement simple. Vers qui se tourner lorsque l’Europe se «bunkérise» derrière des murs, affolée par une immigration qui, en 2022, a atteint de nouveau des records? À qui concéder ses ressources naturelles, pour obtenir le maximum de retour rapide, puisque personne ne peut prédire – crise climatique et démographique oblige – ce qui se passera à moyen et long terme?
La désinformation africaine, version Wagner
Les dirigeants africains ont, de facto, de moins en moins de raisons de prendre leurs ordres à l’Élysée. Et ceux qui continuent de le faire risquent, presque à tout moment, d’en payer le prix fort, politique et personnel face à l’assaut des forces antifrançaises et des campagnes de désinformation à l’unisson. «Nous ne sommes pas une assurance vie au règlement des problèmes politiques africains», a averti Emmanuel Macron.
L’oraison funèbre de la Françafrique est donc prononcée. Et après? Impossible à ce stade de prédire la suite.
Conjuguer le présent au passé était une illusion intenable. Conjuguer le présent au futur est, aujourd’hui, tout aussi risqué.