Attention, danger numérique maximal! Ce n'est pas Blick qui le dit. C'est l'Organisation pour la coopération et le développement économique, l'OCDE, ce club des pays riches dont la Suisse est un membre actif. Oui, danger numérique car les réseaux sociaux n'ont jamais été aussi puissants, et jamais été aussi infiltrés par des personnalités (réelles ou virtuelles) problématiques, en particulier en France.
«La propagation de la désinformation pendant les périodes électorales, la manipulation de l'information étrangère et les campagnes d'ingérence, ainsi que les implications de l'intelligence artificielle générative atteignent un niveau sans précédent», vient d'avertir un rapport de l'OCDE, basée à Paris. Et ça tombe bien. En France, plusieurs affaires viennent en effet d'illustrer cette alarme.
Premier exemple: le rôle joué par l'influenceuse trumpiste américaine Candace Owens dans la diffusion internationale (elle a plus de 4 millions d'abonnés) de la rumeur selon laquelle Brigitte Macron ne serait pas une femme, mais une personne transgenre, née sous le nom de Jean-Michel Trogneux. En France, deux femmes à l'origine de ces accusations numériques contre l'épouse du président de la République ont été condamnés par la justice pour diffamation, en première instance puis en appel. Mais Candace Owens, une femme sympathisante de l'ancien locataire de la Maison Blanche, ne cite aucune de ces condamnations dans ses messages.
Elle parle de la tempête française «provoquée par la découverte de ce plus grand scandale politique de l’histoire de l’humanité». Un scandale dont Emmanuel Macron a fini par se saisir, dénonçant le 8 mars (lors de la journée internationale des droits des femmes et de l'inscription de l'IVG dans la constitution française) les «scénarios montés» qui visent son épouse
Deuxième exemple dans une toute autre affaire qui passe par Genève. Il s'agit des accusations de harcèlement sexuel et viol portées contre l'animateur de NRJ Sébastien Cauet, qui se bat pour être réintégré par son employeur et remis à l'antenne. L'un des influenceurs qui a le plus relayé les accusations portées contre Cauet est Zoe Sagan, un internaute virtuel, crée par un activiste numérique français nommé Aurélien Poirson-Atlan selon Paris Match. «C’est une folle histoire, un condensé du monde moderne. Tout y est, la vie dans les écrans, la solitude, l’anonymat, le dédoublement, Facebook nuit et jour, le talent et l’outrance, le luxe comme objet de fixation et puis #MeToo, les gilets jaunes, soudaine ivresse, la raison à vau-l’eau.»
Shoot de «likes»
Et Paris-Match de poursuivre: «Ça commence comme une fête, shoot de « likes », pluie d’abonnés, jeunes, vieux, célèbres, Laetitia Casta, Marion Cotillard, Vincent Cassel, Anna Wintour, même des hommes d’affaires, Vincent Bolloré, Xavier Niel, hommage lors d’un colloque sur la littérature à la Sorbonne, des éditeurs en transe, le tout sans voix, sans visage, rien que de l’irréel. Ça finit dans un HLM d’Arles, sous la menace de deux procédures judiciaires...» écrivait en janvier 2022 le magazine à propos de cet influenceur.
Or Zoe Sagan et Candace Owens sont liés. Du moins en partie sur le réseau social X. La première a relayé la création par la seconde du hashtag #JeanMichelTrogneux, où se trouvent toutes les rumeurs concernant Brigitte Macron. De quoi justifier l'avertissement de l'OCDE dans son rapport du 4 mars, repris à Paris cette semaine lors du Forum Défense et Stratégie, où les menaces cyber ont été disséquées: «Si l'accessibilité accrue aux réseaux offre un accès sans précédent à la connaissance et peut aussi favoriser l'engagement des citoyens et les reportages novateurs argumente le rapport de l'Organisation, elle constitue également un terrain fertile pour la diffusion rapide d'informations fausses et trompeuses. Le développement de l'utilisation de l'intelligence artificielle générative amplifiera encore ce défi.»
Gare au contrôle de l'information
L'OCDE propose-t-elle de censure les réseaux? Non. C'est là que les affaires Cauet et Brigitte Macron posent des questions très valides à quelques semaines des élections européennes du 9 juin, que beaucoup d'activistes d'extrême droite tentent d'influencer en investissant le champ numérique.
«La lutte contre la désinformation ne doit jamais consister à contrôler l'information. Nous avons besoin d'une approche politique solide et bien équilibrée pour garantir aux citoyens un environnement d'information ouvert et solide dans lequel ils peuvent débattre librement et parvenir à un consensus. Un débat libre, ouvert et solide est essentiel pour relever les défis politiques complexes de notre époque», reconnait le secrétaire général de l'OCDE, Mathias Cormann. «Aucune démocratie ne peut à elle seule résoudre le problème de la désinformation croissante.» Soit, mais alors?
Dans le cas français, la justice est saisie. On l'a vu dans le cas de Brigitte Macron avec les condamnations des deux accusatrices les plus actives. Un autre influenceur très actif sur les réseaux sociaux, Papacito, risque six mois de prison avec sursis pour provocation à la haine visant le maire d’un petit village du Tarn-et-Garonne, avec lequel l'un de ses amis était en conflit. L'insulte est verbale et graphique. Papacito avait, selon «Le Parisien», représenté l'élu «en train d'être sodomisé sous les traits d’une fouine criarde».
Démocratie attaquée
Faut-il faire le lien entre ces différentes nébuleuses? Faut-il associer la trumpiste Candace Owens et le réactionnaire méridional Papacito, en gardant un œil sur les hackers russes de plus en plus «agressifs» ces temps-ci, selon les experts présents au Forum de Paris sur la Défense, et un autre sur les ingérences étrangères plus classiques?
«La démocratie est attaquée. C'est aussi simple que cela. C'est à cause de ces attaques que la loi récente adoptée en France sur les influenceurs est importante», argumente la députée Louise Morel, défenseure de ce texte voté le 1er juin 2023, centré sur les dérives «commerciales» constatées sur les réseaux. Une première en Europe. En sachant que les rumeurs et les campagnes de propagation de la haine trouvent aujourd'hui d'autres refuges dans les lives, les matches TikTok, ou des plates-formes sécurisées comme la messagerie Telegram, bien plus difficile à repérer que les messages postés sur X par Candace Owens ou Zoe Sagan.