Ils sont en colère. Et ils l’ont montré «à la française», en prenant en otage les passagers désireux d'utiliser le train ce week-end de Noël en France, pour retrouver leurs familles et leurs proches. Ils? Les contrôleurs «roulants» chargés des passagers et du bon ordre dans les rames. Ils sont environ 10'000 à la SNCF, la Société nationale des chemins de fer qui, depuis la réforme de 2018 voulue et diligentée par Emmanuel Macron, est une société anonyme à capitaux publics. En clair: une société privée financée par l’État qui a d’ailleurs repris l’intégralité de sa dette d’environ 50 milliards d’euros.
Attention: tous ces contrôleurs n’étaient pas grévistes et tous ne sont pas membres du collectif qui, sur Facebook, a déclenché ce mouvement social de fin d’année. Mais tous sont mécontents et se félicitent d’avoir l’augmentation de leur prime annuelle de 600 à 720 euros, et 200 embauches supplémentaires en 2023.
Qui sont les contrôleurs?
Qui sont ces contrôleurs qui ont donc, ce vendredi, levé leur préavis de grève pour le Nouvel-an, qui risquait de voir les galères de ce week-end se répéter sur le rail français? Ce samedi et dimanche, plus de 200'000 passagers munis de billets seront impactés par les arrêts de travail. Selon les régions, entre un tiers et une moitié des trains ne quitteront pas les gares. Un TGV franco-suisse Lyria sur trois restera aussi à l’arrêt. Motif: des rémunérations trop basses, selon les grévistes.
Un contrôleur français gagne 22'200 euros par an en début de carrière, et jusqu’à 35'800 euros annuels en fin de carrière. S’y ajoutent des primes équivalentes à 25% de ce montant. Mais au final, le compte n’est toujours pas bon pour ces personnels responsables de la sécurité des passagers et contraints très souvent de passer plusieurs nuits par semaine hors de leur domicile. En Suisse, un contrôleur des CFF empoche en moyenne le double de cette somme.
Comparaison entre la France et la Suisse
Comparer la France et la Suisse, du point de vue du statut et des responsabilités, se justifie. Un contrôleur à bord y remplit grosso modo des fonctions identiques auprès des clients. Impossible en revanche de faire une analogie directe entre la SNCF, qui exploite 27'000 kilomètres de voies ferrées, et les CFF, dont les trains roulent sur 5500 kilomètres de rail, soit cinq fois moins.
Énorme différence surtout: les changements de statut successifs à la SNCF et les difficultés récurrentes du dialogue social dans cette entreprise, longtemps symbole du service public à la française et bastion du syndicat communiste CGT. En 2018, lors de la réforme défendue par Emmanuel Macron et finalement adoptée en juin, un an après son élection à la présidence, une grève de 36 jours sur trois mois avait paralysé le réseau.
1995, une grande bataille populaire
On se souvient aussi de la grande grève de décembre 1995, contre le plan Juppé qui devait initialement réformer les retraites et le statut des cheminots, très protégés sur le plan salarial. Presque trente ans après, rien n’a changé. La SNCF s’est transformée. Le statut de cheminot a été supprimé pour les nouveaux embauchés. Mais la grève reste le mode d’action prioritaire: les syndicats, débordés par ce mot d’ordre lancé sur internet, ont déjà prévu des mouvements sociaux en début d’année pour dénoncer encore une fois le projet de réforme des retraites, qui sera dévoilé le 10 janvier.
«La SNCF et les Français, du symbole national au désamour», titrait en mars 2018 le quotidien «Le Monde». Cet attachement au train se traduisait en situation de crise. En 1995, malgré les perturbations, l’opinion publique affichait son soutien aux grévistes au fil des sondages. Aujourd’hui, le vent a tourné. Désormais, selon un sondage Opinion Way paru au début de mars, 58% des sondés estiment que la grève prévue le 22 mars contre la réforme de la SNCF n’est «pas justifiée».
Les contrôleurs dans tout ça? Leurs griefs portent avant tout sur des conditions de travail qui, selon eux, se sont dégradées. Et de fait, la question se pose: comment expliquer que la direction de la SNCF cède à la veille de Noël avec des embauches, alors que depuis le mois d’octobre, des demandes de négociations étaient déposées?
Pour les syndicalistes, cette colère vient de l’affaiblissement des corps intermédiaires au sein de l’entreprise. Selon la direction qui jugeait cette grève de Noël «inacceptable et inexcusable», le conflit trouve son origine dans le refus des employés d’accepter des conditions compatibles avec les exigences du marché. Le blocage n’est pas surprenant.
Un autre sujet est bloqué: celui de la concurrence. La réforme de 2018 devait permettre d’ouvrir le rail français à d’autres opérateurs. Seul Trenitalia s’est glissé dans la brèche, en ouvrant des lignes Paris-Lyon-Milan.
L’attachement symbolique aux cheminots a disparu
Problème: l’image du cheminot et de l’employé se la SNCF a changé. L’attachement symbolique a disparu. «Le cheminot à la Jean Gabin était quelqu’un de prestigieux dans les années 1950, puis dans les années 1980, il était devenu le héros des luttes sociales, expliquait Christian Chevandier dans 'Le Monde'. Aujourd’hui, il n’est plus un héros de la modernité. Les discours ultralibéraux l’ont emporté. Ils reprennent l’image négative de la SNCF. L’opinion publique qui a fait le deuil du modèle français des retraites et des régimes spéciaux.»
Les contrôleurs, au contact direct et permanent des Français en savent quelque chose: selon la SNCF, plus de 5300 agressions physiques ou verbales à l’encontre des agents SNCF ont été enregistrées en 2022. En moyenne quatorze par jour. Une campagne inédite de communication de l’entreprise a été lancée, et environ 2000 caméras vidéo portatives ont été distribuées aux agents.
Pas sûr que la grève de Noël contribue à adoucir le climat. Même si les trains du Nouvel-an, eux, ne devraient pas être annulés.