Le «racisme anti-Blancs», ce concept scientifiquement contesté mais un objet politique de plus en plus débattu en France. Successivement ces derniers jours, la porte-parole du gouvernement et le chef des communistes ont soutenu son existence, signe que cette idée née à l'extrême droite infuse dans une société polarisée.
Plusieurs chercheurs interrogés par l'AFP estiment que le terme de racisme ne peut s'appliquer, car des «cas isolés», y compris très violents, ne peuvent masquer que ce sont les minorités ethniques qui subissent en majorité des discriminations en France.
Une fausse réalité
Pourtant, des responsables politiques de droite et de gauche n'hésitent plus à y faire référence, espérant traduire le ressenti de leurs électeurs. Au risque pour les partis traditionnels d'offrir une victoire à l'extrême droite dans sa bataille culturelle.
Dimanche dernier, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas a ainsi affirmé sur Cnews ne pas avoir de «pudeur» à dire que le «racisme anti-Blancs» était une réalité. En témoigne selon elle sa fille à qui «il est arrivé de se faire traiter de 'sale Blanche'» dans son lycée des Yvelines.
Les médias, le vecteur de ce concept
Deux jours plus tard, également sur cette chaîne appartenant au milliardaire conservateur Vincent Bolloré, le patron du parti communiste Fabien Roussel assurait que «bien sûr, il existe», ce «racisme anti-Blancs».
«L'écosystème médiatique s'est transformé ces dernières années et reprendre ces mots-là, c'est l'assurance d'une visibilité» pour les politiques, analyse Samuel Bouron, maître de conférence à Paris-Dauphine, grâce à «une certaine viralité sur les réseaux sociaux» et la garantie d'être «repris par tous les médias conservateurs».
De fausses ratonnades anti-blancs
D'une provocation du fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, dénonçant en 1985 un «racisme anti-Français», le terme de «racisme anti-Blancs» a prospéré au début des années 2000 accompagnant l'essor des mouvements identitaires, expliquent des chercheurs à l'AFP.
L'expression se retrouve en 2005 dans une tribune d'intellectuels – Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff, Jacques Julliard, Bernard Kouchner... – condamnant des «ratonnades anti-Blancs» commises dans des manifestations lycéennes. S'ils assurent refuser toute récupération par le FN, ils sont très vite contredits dans les faits.
Mais «la droite classique apporte aussi sa contribution à l'émergence du mot dans le débat public, notamment Jean-François Copé» dans son «Manifeste pour une droite décomplexée» paru en 2012, rembobine Samuel Bouron.
L'affaire Crépol
Et plus récemment l'affaire d'homicide à Crépol (Drôme), où un adolescent a été tué en 2023, a été décrite comme un acte de «racisme anti-Blancs» voire un «francocide» par le RN et Reconquête. L'enquête n'a toujours pas permis de déterminer qui était l'auteur des coups de couteau mortels. Après ce crime, l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, candidat à la présidentielle, avait estimé «bien possible» qu'il y ait «une forme nouvelle de racisme anti-Blancs».
Au départ, l'idée «centrale» de l'extrême droite, détaille Samuel Bouron, est de «dire qu'il y a une forme de 'grand remplacement', c'est-à-dire l'idée d'une offensive du monde musulman vis-à-vis de ceux qui seraient 'les Français de souche'». La popularisation de cette dernière expression comme celle du «racisme anti-Blancs» ou du «choc des civilisations» accompagnent cet objectif avec un certain succès, poursuit-il.
Aucune discrimination systémique
La réalité d'actes hostiles à des personnes blanches n'est pas en cause. Mais l'absence de discrimination systémique entraîne un questionnement sur l'emploi du mot de racisme: «La distinction est entre racisme et discrimination. Il y a effectivement des comportements individuels qu'on peut considérer comme racistes», explique Alain Policar, chercheur au Cevipof.
«Ce n'est pas acceptable, mais dans un pays démocratique comme le nôtre, à majorité blanche, les Blancs ne subissent pas de discriminations» au logement, à l'emploi, etc., explique-t-il. Il y voit une manière d'établir «implicitement une équivalence entre le racisme du dominant et celui du dominé».
Un argument proche de celui de la militante féministe et antiraciste Rokhaya Diallo qui, en 2023, écrivait que «des discriminations et des préjugés peuvent émaner de n'importe qui mais le racisme, produit d'une histoire de domination, est nécessairement la combinaison de la détention d'un pouvoir et de privilèges».
Plusieurs conceptions du racisme
Des constats que nuance Daniel Sabbagh, directeur de recherche à Science Po. «Il n'y a pas une et une seule conception du racisme validée par les sciences sociales en bloc. Il y a une pluralité de conceptions du racisme» qui peut «être conçu comme une idéologie ou bien comme un ensemble d'émotions négatives, ou bien comme un système», explique-t-il.
Il recommande donc de ne pas nier la réalité d'un phénomène mais bien de ne pas «offrir sur un plateau à l'extrême droite l'argument que le racisme anti-Blancs fait l'objet d'un tabou dans l'université française et que, du coup, eux seuls auraient le courage de briser le tabou en question».