La Slovaquie, l’Estonie, la Lithuanie et la Lettonie le proposent officiellement. «Nous avons sur la table une proposition de confiscation des avoirs russes gelés dans le cadre des six 'paquets' de sanctions économiques et financières prises par l’Union européenne depuis le 24 février» reconnaît une source française. De fait: dans une déclaration écrite adressée aux ministres des finances de l’Union européenne (UE) réunis à Bruxelles mardi 24 mai, ces quatre pays plaident pour la création «d’un mécanisme international de compensation de guerre, en utilisant les actifs russes pour financer la reconstruction de l’Ukraine». En réponse, le vice-président de la Commission européenne, le Letton Valdis Dombrovskis, a confirmé au site Politico que celle-ci «évalue» la possibilité d’utiliser les actifs européens gelés de la banque centrale russe, évalués à 300 milliards d’euros.
Conséquence: le sujet sera à l’agenda du sommet européen extraordinaire des 30 et 31 mai à Bruxelles. Les chefs d’État ou de gouvernement de l’UE commencent en effet à avoir le tournis au vu des montants colossaux exigés pour la future reconstruction de l’Ukraine, dont l’Europe veut être le premier bailleur de fonds. Neuf milliards d’euros vont être débloqués ces prochains jours, en plus des quatre milliards déjà alloués aux autorités de Kiev. Mais la facture totale pour reconstruire le pays se chiffrera en centaines de milliards! «Pour l’heure, on fait des prêts garantis à l’Ukraine poursuit notre interlocuteur français au palais de l’Elysée. Mais il faut aussi de l’argent frais. Vite. D’où l’idée des confiscations.»
Traiter les oligarques comme la mafia
Le raisonnement est simple: traiter les avoirs des organisations étatiques russes mais aussi ceux des oligarques – dont les immenses fortunes sont souvent liées au Kremlin – comme s’ils appartenaient à une mafia criminelle dont les biens peuvent être confisqués et réattribués par les États à ses victimes… c’est-à-dire à l’Ukraine.
Cette comparaison est faite dans la note des quatre pays pro-confiscation. Attention toutefois: dans un État de droit, confisquer n’est pas possible sans une condamnation et une décision de justice. «La Cour de justice de l’UE, à Luxembourg va sans doute être sollicitée pour donner un avis indique un diplomate européen à Blick. Pour l’heure, confisquer les avoirs gelés des oligarques est impossible. La Cour européenne des droits de l’homme (qui dépend, elle, du Conseil de l’Europe basé à Strasbourg, dont la Suisse est membre) dispose d’un arsenal juridique qui protège la propriété privée. Or si ces biens ont été légalement acquis, ils sont intouchables.»
Le service juridique de la Commission et celui du Conseil (l’instance qui représente les 27 États membres de l’UE) préparent toutefois des options.
Criminaliser le non-respect des sanctions
Confisquer, mais où? En fonction de quels critères? Par quelle autorité? Une sorte de premier pas devrait être franchi ce mercredi 25 mai avec une proposition attendue de la Commission européenne visant à criminaliser le non-respect des sanctions. Toute entité privée (banque, entreprise…) ayant aidé à contourner ces mesures prises contre la Russie se retrouverait donc passible de poursuites judiciaires. C’est une première étape qui concernera aussi la Suisse, puisque celle-ci s’est engagée à appliquer les mesures européennes. «La base doit être le droit pénal des États membres dans lesquels ces actifs sont situés» a poursuivi le Vice-président de la Commission. Le parti socialiste suisse avait, début mai, plaidé au parlement pour une telle confiscation.
Autre initiative envisagée à Bruxelles: la création d’un «registre européen d’enregistrement des actifs visés par les sanctions»: en clair, une banque de données dans laquelle figureront tous les avoirs gelés, placée sous le contrôle de la task force communautaire «Freeze and Seize» (gel et confiscation, en français) créée à la mi-mars pour faciliter la coordination entre les autorités des États membres de l’UE.
Ce «registre européen» est dérivé d’une idée proposée par l’économiste français Thomas Piketty, spécialiste des inégalités. «Il faut une base de données complète permettant de savoir où et par qui la richesse est détenue. Elle pourrait accroître l’efficacité des sanctions ciblées» plaide depuis longtemps l’auteur du «Capital au 21ème siècle» (ed. Seuil).
Une réponse aux interruptions de gaz
Même si cela n’est pas formulé ainsi, cette réflexion sur de possibles confiscations est, pour la Commission européenne, une réponse à l’interruption des exportations d’électricité et de gaz russes vers la Finlande, qui succède à l’arrêt des exportations de gaz vers la Pologne et la Bulgarie. Un chantage que la présidente de la Commission Ursula Von Der Leyen a jugé «injustifié et inacceptable» au Forum de Davos.
Problème toutefois: si le montant des avoirs de la banque centrale Russe est important, celui des avoirs gelés des oligarques (immeubles, yachts, comptes bancaires… identifiables et non détenus par des prête-noms ou des sociétés offshore) est encore loin, très loin des besoins financiers de l’Ukraine pour sa reconstruction. En France, le ministère des finances évalue pour l’heure à «environ 700 millions d’euros» le montant des avoirs immobiliers concernés… alors que chaque jour, les pays de l’UE paient 800 millions d’euros à la Russie pour ses hydrocarbures.
Pas de base juridique possible
Confisquer, c’est possible? «Non, il faut l’avouer admet notre diplomate européen. Cela déclencherait une guerre juridique qui pourrait se retourner contre les États. La Russie n’a pas agressé un pays de l’Union. Il n’y a, pour l’heure, pas de base juridique possible pour assimiler les oligarques à des complices de crimes susceptibles de justifier une confiscation.»
Les banques helvétiques, qui se retrouveraient à coup sûr montrées du doigt par les autorités européennes, peuvent donc respirer.