Explications d'experts
Comment sait-on que le climat actuel est le plus chaud depuis 120'000 ans?

Les chercheurs utilisent diverses «archives climatiques» pour reconstituer les températures passées. Ces données indiquent que la dernière décennie a dépassé les périodes chaudes précédentes, avec un réchauffement alarmant pour l'avenir.
Publié: 08:02 heures
|
Dernière mise à jour: 08:22 heures
Pour définir l'importance du réchauffement climatique actuel, les scientifiques utilisent plusieurs méthodes.
Photo: Getty Images
Post carré.png
AFP Agence France-Presse

2024 est incontestablement l'année la plus chaude jamais mesurée sur Terre depuis 1850. Mais les carottes de glace, les sédiments au fond de l'océan et d'autres «archives climatiques» permettent aux scientifiques d'établir que le climat actuel est sans précédent depuis au moins 120'000 ans. Explications.

Archives

«Quand on veut connaître les climats du passé, on cherche une «archive» qui a enregistré les variations de température», explique à l'AFP le paléoclimatologue Etienne Legrain, joint pendant sa mission de recherche dans l'Antarctique.

Par exemple, les «carottes sédimentaires marines, composées des sédiments qui tombent au fond des océans»: ceux-ci «sont remplis de bestioles – les foraminifères – qui enregistrent dans leur coquille les températures du moment où elles vivaient», raconte-t-il.

Carottes de glace

«Il y a aussi les carottes de glace, avec plusieurs méthodes: une très simple consiste à mettre un thermomètre dans un trou qu'on va forer sur 3 km et plus on descend profond, plus on remonte dans le temps pour lire la température de la glace, qui reste toujours la même qu'à l'époque de sa formation», décrit ce scientifique de l'Université libre de Bruxelles, tout juste rentré d'une expédition sur les glaciers du pôle sud.

«Une autre consiste à peser le poids d'une molécule de glace, ce qui donne la température au moment où la glace s'est déposée». Les carottes de glace permettent de remonter à plus d'un million d'années dans le temps.

«Quand on analyse toutes ces archives très différentes», les communautés de chercheurs distinctes «tombent sur les mêmes courbes de températures, c'est pour ça qu'on a une certitude assez forte», résume-t-il, même s'ils ne parviennent pas à une précision au dixième de degré.

Période la plus chaude

Conclusion, selon le Giec: les températures mondiales de la dernière décennie (2011-2020), environ 1,1°C plus chaudes que la période 1850-1900, «ont dépassé celles de la plus récente période chaude multi-séculaire» d'il y a environ 6500 ans, qui était seulement 0,2 à 1°C plus chaude que l'époque pré-industrielle.

«Avant cela, la plus récente période chaude remonte à environ 125'000 ans, lorsque la température pluriséculaire (0,5°C à 1,5°C par rapport à 1850-1900) chevauche les observations de la décennie» écoulée, écrivent les climatologues mandatés par l'ONU.

«Les marges d'erreur ne nous permettent pas de dire que le climat actuel est plus chaud que l'Eémien», le nom de cette période de quelques milliers d'années de réchauffement, juste avant la dernière ère glaciaire, explique Etienne Legrain.

«Mais ce qui est certain, si l'on reste sur les trajectoires d'émissions de gaz a effet de serre actuelles, c'est que le climat attendu à la fin du siècle sera le plus chaud depuis au moins 800'000 ans», avertit le chercheur, puisque, selon l'ONU, l'humanité met la planète sur la voie d'un réchauffement de près de 3°C par rapport au 19e siècle.

Pour trouver un point de comparaison, il faudra alors remonter à «2-3 millions d'années» en arrière, lorsque le climat «était probablement environ 2 à 3°C plus chaud que la période pré-industrielle», ajoute le chercheur.

Comparer les périodes

La comparaison entre les périodes chaudes du passé et celle actuelles a des limites: le réchauffement était alors naturel, résultat d'une proximité plus grande de la Terre au Soleil et d'une inclinaison plus forte, augmentant l'exposition des pôles à l'énergie solaire.

«L'Eémien correspond à une augmentation de 5-7°C de température moyenne sur 10'000 ans, soit environ +1°C tous les 2000 ans. Nous, on a un pris presque un degré en 50 ans!», souligne Etienne Legrain. Le réchauffement très lent et graduel de l'époque passée a permis aux êtres vivants de s'adapter.

Mais attention aux raccourcis, avertit la paléoclimatologue Maria Sanchez Goni: avec les archives climatiques, «il est difficile d'obtenir des températures moyennes à l'échelle mondiale» et non pas seulement région par région, «et encore plus difficile de les avoir année par année», dit-elle à l'AFP. Quand on parle de climat, il s'agit de moyennes sur au moins une décennie.

Il faut déduire une estimation des températures mondiales à partir d'indices fragmentaires, comme dans cette étude de référence publiée en 2020 qui a reconstruit les climats des 12'000 dernières années à partir de pollens, d'insectes et de marqueurs géochimiques. Dans ses conclusions, elle se limitait à donner des estimations de températures mondiales sur plus de 150 ans, souligne la scientifique.

Avec ces incertitudes, même dans le climat moins chaud d'il y a 6500 ans, «il n'est pas impossible qu'une année seule ait été aussi chaude que 2024», prévient cette directrice de recherche à l'École Pratique des Hautes Études. 

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la