Détenu pendant cinq ans au Royaume-Uni et longtemps réclamé par les Etats-Unis, Julian Assange est devenu aux yeux de ses partisans un symbole de la liberté d'informer.
Après des années de bataille judiciaire, le fondateur de WikiLeaks peut souffler: il a conclu lundi un accord de plaider coupable avec les Etats-Unis qui lui permet d'être libre à nouveau.
Une annonce qui arrive alors que la justice britannique devait examiner en juillet un ultime recours contre son extradition. Ses proches le décrivent comme très diminué physiquement par 12 ans d'enfermement, dont cinq en prison, et sa défense n'a cessé d'alerter sur le risque qu'il se suicide.
«Julian Assange est libre»
«Julian sera mis dans un trou, si profond qu'on ne le reverra jamais», en cas d'extradition, avait affirmé mi-février Stella Assange, son ancienne avocate, qu'il a épousée derrière les barreaux en mars 2022. «Tout le monde sait que la santé mentale de Julian est extrêmement préoccupante et que sa survie est en jeu», avait encore répété celle avec qui il a eu deux enfants.
Les Etats-Unis tenaient à juger l'ancien hacker pour la diffusion, à partir de 2010 sur la plateforme WikiLeaks, de plus de 700'000 documents concernant les activités militaires et diplomatiques de Washington, notamment en Irak et Afghanistan.
Julian Assange était détenu à la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans l'est de Londres, depuis avril 2019, après avoir été extrait de l'ambassade d'Equateur, où il s'était réfugié sept ans plus tôt, déguisé en coursier. Il était alors sous le coup de poursuites pour viol en Suède, depuis abandonnées.
«Julian Assange est libre» et a quitté le Royaume-Uni, a affirmé WikiLeaks rapidement après l'annonce de l'accord avec la justice américaine.
Ses débuts comme hacker
L'Australien a commencé sa vie ballotté de droite à gauche par sa mère, Christine Ann Assange, une artiste de théâtre séparée de son père avant sa naissance.
Il compare son enfance à celle de Tom Sawyer, entre construction d'un radeau et exploration de son environnement. A 15 ans, il a déjà vécu dans plus de 30 villes australiennes avant de se poser à Melbourne où il étudie les mathématiques, la physique et l'informatique. Happé par la communauté des hackers, il commence à pirater les sites internet de la Nasa ou du Pentagone en utilisant le pseudonyme de «Mendax».
Lorsqu'il lance WikiLeaks pour «libérer la presse» et «démasquer les secrets et les abus d'Etat», en 2006, il devient, selon un de ses biographes, «l'homme le plus dangereux du monde».
Ennemi de Biden dès 2010
Il se fait connaître du grand public en 2010 avec la publication de centaines de milliers de documents américains. Ce qui lui vaut d'être présenté comme un champion de la liberté d'informer.
Ces documents classifiés sont liés aux activités diplomatiques américaines et aux guerres en Afghanistan et en Irak. 250'000 autres documents seront ajoutés ultérieurement. Les documents contiennent des informations explosives sur les opérations américaines dans ces pays, notamment sur le meurtre de civils et les mauvais traitements infligés aux prisonniers.
Dix ans avant son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama, estimait que Julian Assange s'apparentait davantage à un «terroriste high tech» qu'à un héritier des «Pentagon papers» ayant révélé dans les années 1970 les mensonges des Etats-Unis sur la guerre du Vietnam.
«Selon le vice-président nord-américain, la vérité sur les Etats-Unis, c'est du terrorisme», avait rétorqué Julian Assange, qui affirmait aussi en 2013 à l'AFP que ce pays voulait «se venger» de lui.
La diffusion des emails de l'équipe d'Hillary Clinton en 2016
Son image de «cyber-warrior» aux cheveux blancs s'est parfois brouillée au fil des ans, en particulier au moment de la diffusion par sa plateforme, en 2016, pendant la campagne présidentielle américaine, de milliers de courriels piratés provenant du Parti démocrate et de l'équipe d'Hillary Clinton.
Ces révélations avaient suscité des éloges appuyés du candidat Donald Trump. Selon la CIA, ces documents ont été obtenus auprès d'agents russes, ce que nie WikiLeaks.
Cet épisode a alimenté les soupçons, par ses détracteurs, de collusion avec la Russie d'un Julian Assange dont les révélations se font souvent au détriment des Etats-Unis et qui a collaboré avec la chaîne de télévision RT, proche du Kremlin.
Arrêté en 2019 à Londres
Après sept ans passés à l'ambassade, la police britannique a arrêté Assange en avril 2019 après la révocation de son asile. Le président équatorien Lenín Moreno a déclaré qu'Assange avait « violé à plusieurs reprises » les conditions d'asile de son ambassade. En mai, l'Australien a été condamné à 50 semaines de prison pour non-respect des conditions de sa libération sous caution.
Fin mai, la justice américaine a intensifié ses accusations contre Assange. Le fondateur de Wikileaks est désormais également accusé d'avoir violé les lois anti-espionnage. S'il est reconnu coupable, il risque jusqu'à 175 ans de prison.
«Publier n'est pas un délit»
En 2011, les cinq journaux (dont le New York Times, The Guardian et Le Monde) associés à WikiLeaks avaient condamné la méthode de la plateforme, qui rend publics des télégrammes du département d'Etat américain non expurgés, estimant qu'ils sont susceptibles de «mettre certaines sources en danger».
Mais, fin 2022, les mêmes journaux ont appelé le gouvernement américain à abandonner les poursuites contre Julian Assange car «publier n'est pas un délit».
Juin 2024: accord avec les États-Unis
Alors que le différend juridique est toujours en cours et que la prochaine audience d'appel est prévue pour juillet, un accord surprenant est conclu entre Assange et les États-Unis: l'Australien plaide coupable d'une partie du scandale d'espionnage, en échange, il échappe à une nouvelle peine d'emprisonnement aux États-Unis. Un tribunal doit encore approuver l'accord.
Selon les plans, Assange devrait comparaître ce mercredi devant un tribunal dans le territoire américain éloigné des îles Mariannes. L’archipel est situé dans le Pacifique occidental, au nord de l’Australie, pays natal d’Assange, et est sous souveraineté américaine.
Pourquoi maintenant?
On ne sait pas exactement ce qui a poussé les États-Unis à repenser leur position. Cependant, plusieurs facteurs auraient pu jouer un rôle dans cette décision.
D’une part, le gouvernement australien fait pression depuis des années pour que l’affaire soit abandonnée. Aux États-Unis également, le consensus s'est accru ces dernières années sur le fait qu'il n'est pas dans l'intérêt public de poursuivre les poursuites pénales.
Le président américain Joe Biden avait déjà indiqué en avril qu'il envisageait de mettre fin à la procédure. Mais le fait que cela se produise si rapidement après toutes ces années reste toujours surprenant.