Enseignes asiatiques et concurrence
Le quartier chinois de Milan ne plaît pas à certains habitants

Le Chinatown de Milan compte parmi les plus grands d'Europe. Depuis plus de 100 ans, des magasins chinois se sont installés dans le centre-ville. Le chiffre d'affaires y dépasse le milliard d'euros par an. Ce qui ne plaît pas à tout le monde.
Publié: 03.05.2023 à 09:44 heures
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L'homme d'affaires Stéphane Hu est président de l'association des entrepreneurs chinois en Italie et représente les jeunes Chinois expatriés de deuxième et troisième génération qui ont réussi.
Photo: www.steineggerpix.com
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Myrte Müller

Ne vous attendez pas à une porte du dragon ni à un festival de lanternes rouges. En comparaison des célèbres Chinatowns de New York ou de San Francisco, les quartiers chinois de Milan sont moins délimités, et nettement moins folkloriques.

Leurs frontières au cœur de la ville italienne sont poreuses. Ces zones «chinoises» oscillent avec fluidité entre italianità et tradition asiatique. D’une ruelle à l’autre, les étalages changent. L’écriture chinoise s’étend sur les façades des vieux bâtiments, s’affiche au-dessus des innombrables petites boutiques. Des vêtements colorés, des babioles à paillettes, des articles électriques, des accessoires pour téléphones portables… Et, bien sûr, de nombreux snacks exotiques.

Mais là où se trouvait autrefois l’artisanat italien de qualité, les produits asiatiques bon marché et la street food épicée attirent aujourd’hui des milliers de touristes et d’habitants dans les ruelles autour de la Via Paolo Sarpi, se plaignent certains habitants de longue date du quartier. Les pizzas et les pâtes auraient depuis longtemps cédé la place aux hot pot sichuan, aux boulettes de sésame frites, aux soupes ramen et autres beignets vapeur, se plaignent-ils encore. Mais ce Chinatown, qui est l'un des plus grands d'Europe, attire malgré tout une foule de curieux.

Un Chinatown très disputé

Vera et Willy Baumgartner, deux Allemands, aiment flâner dans les zones piétonnes. Ces deux touristes possèdent un appartement de vacances à Capolago (TI), à une heure de voiture de Milan. Ils ne connaissaient pas encore Chinatown, et ont donc décidé d'aller y manger quelque chose, explique l’enseignante à la retraite à Blick. «Mais nous avons été un peu déçus, déplore-t-elle. Beaucoup de bâtiments semblent quand même délabrés.» Le couple s’attendait aussi à un peu plus de faste chinois, racontent les deux retraités.

En effet, le Chinatown de Milan n’est pas Disneyland. C’est un endroit où la concurrence est rude. Les commerçants chinois génèrent un milliard d’euros par an et assurent 5000 emplois dans la métropole. Cette communauté qui compte plus de 30’000 personnes cacherait aussi d'autres côtés bien sombres: prostitution illégale, blanchiment d’argent, racket, trafic de drogue. Mais on entend peu parler de cette criminalité, qui reste et se règle surtout dans la «famille». Un incident assez violent s’y est produit récemment, le lundi de Pâques. Dans un restaurant chinois, un jeune homme de 25 ans a été poignardé par un compatriote.

La plaque tournante de ce grand business? Elle se trouve dans le Chinatown milanais. Mais le commerce est surtout tenu fermement par des Chinois de l’étranger. Ils résident principalement dans la province du Zhejiang, dans le sud de la Chine. La plupart des familles impliquées sont originaires de la ville commerciale de Wenzhou, aujourd’hui centre de la production chinoise de textiles et de chaussures.

La street food remplace les entreprises traditionnelles

Comment s’est formé ce quartier? Il y a 100 ans, des immigrés ont fui la pauvreté en Chine et se sont réfugiés dans cette zone milanaise. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la même ambiance. Il faut toutefois noter que la plupart des petits commerçants n’habitent plus dans le quartier, mais plutôt en périphérie, là où les logements sont abordables, et se rendent dans cette zone uniquement pour travailler. La plupart des locataires actuels se déplaceraient en Tesla hors de prix et leurs appartements coûteraient désormais entre 8000 et 10’000 euros le mètre carré, tonne Pier Franco Lionetto, un Milanais.

Chinatown est un petit écosystème à lui tout seul: il possède ses propres journaux, un centre médical, des hôtels et même des agences de voyages. On n’y voit presque plus d’enseigne italienne, selon Pier Franco Lionetto: la plupart des boutiques de ce dédale de ruelles animées sont chinoises. «Là où se trouve aujourd’hui l’Oriental Mall, il y avait autrefois une librairie italienne, déplore le Milanais. Nous n’avons presque plus de boulangeries.» Même la boucherie traditionnelle a maintenant vendu son local à une enseigne chinoise, 70 ans après sa création, ajoute-t-il.

Des camions tous les jours dans les ruelles étroites

Pier Franco Lionetto connaît très bien Chinatown. Il a grandi dans le quartier et est président depuis 24 ans de Vivi Sarpi, un mouvement citoyen a été fondé en 1999, lorsque le quartier a commencé à se modifier. Il regroupe des personnes très en colère contre ce changement.

Il y a 20 ans, une vague d’immigration un peu différente aurait eu lieu, raconte-t-il. Des Chinois fortunés auraient fait leur apparition à Chinatown et décidé de reprendre des rues entières. Plus de 300 magasins auraient été utilisés comme entrepôts. «Ils stockaient la marchandise importée de Chine dans notre quartier, mais la vendaient dans toute l’Europe, regrette Pier Franco Lionetto. Et toute la journée, des camions et des camionnettes encombraient les ruelles.» Selon lui, de nombreux citoyens auraient vu rouge à ce moment-là.

Lorsque la municipalité a limité la circulation des camions à certaines heures, en avril 2007, les habitants de la zone se sont soulevés. Trois ans plus tard, le gouvernement milanais a alors transformé le quartier en zone piétonne. Le commerce de gros a ainsi simplement été repoussé dans d’autres quartiers de la ville. «Depuis, les choses vont beaucoup mieux de ce côté de la ville», admet le Milanais, qui ajoute toutefois que les Chinois de ce quartier «ont de la peine à s’intégrer».

«Les descendants parlent italien comme les autochtones»

Qu’en disent les principaux concernés? Stéphane Hu, la quarantaine, a accepté de répondre à nos questions. Sa famille se trouve en Europe depuis des générations. Son arrière-grand-père a fui la Chine pour des raisons économiques. Stéphane Hu a grandi en France et vit depuis des années en Italie. Cet homme d’affaires est aussi le président de l’association commerciale des entrepreneurs chinois en Italie (UNIIC). Et il réfute les accusations selon lesquelles les habitants de Milan originaires de Chine constituent un groupe compact et imperméable aux autres. «Les descendants des immigrés chinois parlent italien comme les autochtones, affirme-t-il. En particulier ceux de la deuxième et troisième génération. Ils connaissent bien la culture européenne et étudient dans les mêmes universités que les Italiens.»

Pour lui, beaucoup de ces immigrés se sont très bien intégrés et se fondent désormais dans la population milanaise. «Les fils et filles de ces commerçants chinois ne travaillent pas automatiquement dans le quartier, explique-t-il. Ils se sont distanciés de ces enseignes et sont devenus juristes ou médecins.» On ne peut donc absolument pas tous les mettre dans le même panier, avance-t-il: «Je pense que les jeunes générations s’intègrent plus facilement. Elles feront de plus en plus partie de la société italienne, comme c’est déjà le cas aujourd’hui aux États-Unis.» Ce sera donc peut-être aux habitants du quartier de s’y habituer.

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