Elizabeth II est partout
La reine est morte, la République française est orpheline

La France républicaine et révolutionnaire guillotina le roi Louis XVI le 21 janvier 1793. Mais depuis la mort de la reine Elizabeth, la frénésie de nostalgie monarchique dans les médias nous ferait presque croire que les Français regrettent de ne plus avoir de monarque.
Publié: 10.09.2022 à 16:28 heures
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Dernière mise à jour: 10.09.2022 à 16:48 heures
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Vendredi 9 septembre, Emmanuel Macron s'est rendu à l'Ambassade du Royaume Uni à Paris pour y signer le livre de condoléances après la disparition de la reine Elizabeth II.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Où sont passés les sans-culottes qui crient: «A bas le roi»? Où est passée la méchanceté républicaine française, d’ordinaire aiguisée contre tous les monarques de la planète? Qui soutient encore, en France, les millions de sujets du nouveau roi Charles III qui rêvent de s’émanciper de ce chef d’Etat couronné, monté ce samedi 10 septembre sur le trône à Londres, héritier d’une dynastie accolée à l’ex-Empire britannique et à la colonisation?

Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné

Depuis la disparition d’Elizabeth II ce jeudi, la France a presque oublié qu’elle guillotina Louis XVI le 21 janvier 1793! Même le quotidien de gauche «Libération», créé autour de l’écrivain Jean-Paul Sartre dans la foulée de la révolte de mai 1968, a fait sa révérence. Sa Une au lendemain de la mort de la reine? Une photo d’Elizabeth II très belle et digne avec ce titre bien trouvé, mais presque à genoux devant l’icône: «La peine d’Angleterre».

Oubliée donc, l’irrévérence. La francophonie revendiquée de la reine Elizabeth, qui s’exprima encore en Français en juin 2014 pour le 70e anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944, est sans cesse mise en avant par les médias. Emmanuel Macron, ce président «jupitérien», souvent accusé de perpétuer une forme de monarchie républicaine, y est aussi allé de son hommage solennel.

A l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, où il s’est déplacé pour signer le livre de condoléances, le président français y est allé de sa formule choc: «Pour vous, elle était votre reine. Pour nous, elle était la reine». La reine? Une manière d’effacer, sans doute, les souvenirs de souveraines plus controversées dans l’histoire de France, à commencer par Marie Antoinette, l’épouse autrichienne de Louis XVI, dont la tête roula dans la sciure après avoir été tranchée sur l’actuelle place de la Concorde, le 16 octobre 1793…

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Revoici la France en pâmoison devant une couronne. Du moins, sur le plan médiatique. Car tous les dirigeants politiques n’ont pas cédé à cette frénésie de nostalgie royale. Le quotidien communiste «L’Humanité», qui tient ce week-end près de Paris sa traditionnelle «fête de l’Huma», n’a pas consacré sa Une à la mort d’Elizabeth II. Même refus de surfer sur la vague monarchique pour Jean-Luc Mélenchon, l’ex-candidat de gauche à la présidentielle et ancien militant trotskiste.

Pour le reste? Le pays entier semble se délecter des éloges tressés en continu sur les plateaux par Stéphane Bern, son chroniqueur royal attitré, fier de ses origines luxembourgeoises et helvétiques. Les éditions spéciales des radios et TV ont déferlé tel un tsunami. «La France retrouve sa fibre monarchique. Le faste. L’élégance. Le respect des règles et des traditions», avance Anne-Elizabeth Moutet, éditorialiste basée à Paris du quotidien conservateur britannique «Daily Telegraph».

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Le Général de Gaulle, officier de tradition royaliste, devenu le père de l’actuelle Ve République française (qu’il présida de 1958 à 1969), l’avait bien compris. L’homme de la «France libre», figure tutélaire de la résistance à l’occupant nazi durant la seconde guerre mondiale, avait, à plusieurs reprises rétabli des contacts avec le Comte de Paris, alors héritier de la dynastie des Bourbon.

Songeait-il vraiment à réinstaller sur le trône de France ce lointain descendant d’un frère de Louis XVI et de Louis-Philippe 1er, dernier monarque à avoir régné en France, de 1830 à 1848? «Monseigneur, il n’y a qu’un homme qui pouvait restaurer la monarchie en France, c’est le Général de Gaulle et il ne l’a pas fait» lui aurait un jour confié François Mitterrand, un autre président de la République accusé de se comporter comme un roi à la tête du pays.

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La reine et les présidents

Les présidents français, Elizabeth II les côtoya tous depuis son accession sur le trône du Royaume-Uni, en juin 1953. Charles de Gaulle, réfugié à Londres durant la guerre, était pour elle une figure familière. Valéry Giscard d’Estaing, qui s’évertuait, paraît-il, à lui parler un anglais qu’elle ne comprenait pas, ne l’amusait guère. François Mitterrand, monarque à sa manière, mais pas anglophone, fut une sorte d’égal. Jacques Chirac, séducteur en diable, ne l’impressionnait pas. Nicolas Sarkozy profita de la fine connaissance du protocole de sa nouvelle épouse Carla Bruni, maîtresse es révérences, lors de la visite présidentielle à Buckingham Palace, en mars 2008.

Et les Français tout court? Selon plusieurs enquêtes d’opinion de l’institut BVA, 17% d’entre eux seraient favorables à ce que la fonction de chef de l’Etat soit un jour assumé par un roi. 40% jugent qu’un monarque serait bénéfique pour l’unité nationale. Mais 80% ne veulent pas de retour d’un roi.

La République plie peut-être dans les jours de deuil, mais elle ne rompt pas.

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