Tout un symbole pour le chef de l'Etat, 69 ans, donné favori malgré vingt ans de pouvoir face à son adversaire, le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans.
Adnan Menderes, une figure emblématique pour la droite conservatrice turque, avait mis fin en 1950 au règne du CHP laïque de Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne.
«Le temps des coups d'Etat et des juntes est révolu: demain sera une journée spéciale pour nous tous», a lancé le président turc, appelant ses compatriotes à aller voter en ce jour anniversaire du coup d'Etat du 27 mai 1960.
Recep Tayyip Erdogan, donné usé et affaibli par la crise économique et le séisme du 6 février, a créé la surprise en obtenant 49,5% des voix le 14 mai, contre 44,9% pour son rival.
Le meilleur moteur électoral pour Erdogan en Turquie: la fierté
Kemal Kiliçdaroglu tu par les médias
Depuis, Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d'une coalition de six partis, de la droite nationaliste au centre gauche, a tenté de mobiliser ses troupes jusqu'au bout, en particulier sur sa droite.
Ses partisans ont essaimé dans les rues des grandes villes pour appeler au vote et tenter de séduire les jeunes et les femmes au foyer, traditionnellement acquises à M. Erdogan.
Mais à la différence du président sortant, omniprésent sur les estrades et à la télévision, Kemal Kiliçdaroglu a dû batailler dur pour se faire entendre.
Selon l'organisation Reporters sans frontières, la télévision publique TRT a accordé «soixante fois plus de temps d'antenne» à Erdogan qu'à son rival pendant la campagne.
Sur la chaîne de télévision turque Fox, M. Kiliçdaroglu a dénoncé vendredi le blocage de ses SMS de campagne par l'autorité de régulation des télécommunications, accusant le camp du président de «chercher par tous les moyens à rester au pouvoir».
Simultanément, le chef de l'Etat accusait sur TRT «les médias occidentaux de toujours chercher à fabriquer de fausses nouvelles». L'arithmétique lui est néanmoins favorable après le ralliement du troisième homme du premier tour, Sinan Ogan, un ultranationaliste qui avait recueilli 5,2% des suffrages.
L'islam comme outil politique
Pour flatter cet électorat, M. Erdogan a choisi samedi de se recueillir sur la tombe de l'ancien Premier ministre Menderes, déposé par un coup d'Etat militaire en 1960 et pendu un an plus tard.
Menderes avait fait de l'islam un outil politique, rétablissant l'appel à la prière en arabe et rouvrant des milliers de mosquées fermées. C'est ce modèle politique qui a inspiré au chef de l'Etat la création du parti AKP islamo-conservateur, lequel a accompagné son ascension.
«Ce qui vient en premier, c'est la sécurité. Tayyip a fait tellement pour ce pays, je pense que c'est encore lui qui va gagner», estimait samedi à Istanbul Ahmet Karakoç, 18 ans, sensible aux accusations de «terrorisme» portées par M. Erdogan à l'encontre de ses rivaux.
«On veut que le pays retrouve la paix»
En face, M. Kiliçdaroglu, un économiste de formation et ancien haut fonctionnaire, a joué l'apaisement auprès d'un électorat assommé par l'inflation.
«On veut que le pays retrouve la paix, que l'économie se rétablisse (...). Je pense que ce serait un bon dirigeant. Un économiste, ce serait bien pour le pays», jugeait Ali Öksüz, 45 ans, dans le quartier conservateur d'Üsküdar.
Le candidat a toutefois musclé son discours dans l'entre-deux tours, répétant d'un ton inhabituellement ferme qu'il renverrait «dans les deux ans» les 3,4 millions de Syriens ayant trouvé refuge en Turquie.
Le parti prokurde HDP lui a réitéré son soutien sans conditions, malgré le rapprochement de M. Kiliçdaroglu avec un micro-parti ultranationaliste et xénophobe.
Du fond de sa cellule, la principale figure du HDP, Selahattin Demirtas, a rappelé sur Twitter : «Il n'y a pas de troisième tour dans cette affaire! Faisons de M. Kiliçdaroglu le président, laissons la Turquie respirer. Allez aux urnes, votez!»
«Ce que j'attends, c'est un changement de gouvernement. On n'en peut plus de ce régime d'oppression», confiait samedi à Ankara Ugur Barlas, un enseignant de 39 ans.
Réponse ce dimanche
Les bureaux de vote seront ouverts dimanche de 08h00 (07h00 heure suisse) à 17h00. Les premiers résultats sont attendus pour le début de soirée.
Cette fois, le CHP déploiera «cinq observateurs par urne, pas un ou deux..., soit un million de personnes, pour garantir la sécurité» du vote, a promis Kemal Kiliçdaroglu.
(ATS)