Vladimir Poutine n’aurait pas pu être plus clair: fin mars, il annonçait qu’il couperait le robinet du gaz à tous ceux qui ne paieraient pas leurs factures en roubles. Mercredi, il a joint le geste à la parole. Le grand gazier russe Gazprom a suspendu ses livraisons en Pologne et en Bulgarie.
Selon les experts du domaine, il ne s’agit pourtant que d’un prétexte, en tout cas pour la Pologne. La Russie n’a que peu apprécié son soutien fourni à l’Ukraine depuis le début du conflit. En effet, le gouvernement polonais milite activement pour un boycott de l’énergie russe, exige des livraisons d’armes massives à son voisin et accueille un grand nombre de réfugiés.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a reproché au Kremlin d’utiliser le gaz comme un instrument de chantage.
Le chantage gazier de Poutine
La stratégie de Poutine est assez simple: il s’agit d’un avertissement pour les autres pays occidentaux, qui pourraient se retrouver à tout moment sans gaz russe. Pour se libérer de cette situation, le gouvernement russe a tout prévu: les créditeurs peuvent déposer des dollars ou des euros sur un compte russe auprès de la Gazprombank, la banque du groupe, véritable bras financier du gaz russe, qui se charge de convertir la somme en roubles.
Mais les pays qui répondent au chantage vont-ils assurément voir leur gaz livré? Si une leçon a été retenue de l’invasion russe en Ukraine, c’est bien que Vladimir Poutine reste imprévisible. «Il est presque impossible de prévoir ce qui va se passer, explique Andreas Tresch, de la société de conseil du domaine énergétique Enerprice. D’autant que certains pays font l’inverse et veulent mettre en place un embargo sur le gaz pour cesser d’être approvisionnés par la Russie.» L’Association suisse de l’industrie gazière estime elle aussi qu’un scénario avec de nouveaux arrêts de livraison du gaz est possible.
Plus de gaz en Allemagne, plus de gaz en Suisse
La Suisse couvre environ 15% de ses besoins énergétiques avec du gaz, dont près de la moitié provient de Russie. Si Poutine ferme le robinet du gaz dans d’autres pays, un effet domino risque de se produire. «Si les approvisionnements de gaz vers l’Allemagne s’arrêtaient, la situation deviendrait vraiment délicate», explique Andreas Tresch.
Les réserves de gaz permettent encore de tenir jusqu’à l’hiver prochain, notamment grâce au gaz naturel liquéfié (GNL) et aux livraisons provenant de Norvège. Mais si le robinet du gaz russe devait être bloqué vers l’Allemagne, celle-ci prévoirait son «niveau 3» de l’état d’urgence, explique Andreas Tresch. «Pratiquement, cela implique que l’Allemagne couperait à son tour le robinet vers les pays tiers, en commençant par ceux non-membres de l’UE. La Suisse serait alors en première ligne», explique l’expert.
Mise en place d’une task force énergétique
Si cela devait effectivement se produire, la Suisse aurait un problème immédiat. Cependant, même sans cet arrêt, notre pays pourrait bien se diriger vers une pénurie dès l’hiver prochain. «Pour ce scénario et la planification de la sécurité d’approvisionnement énergétique pour l’hiver 2022-2023, la Confédération a mis en place une task force», explique Andreas Tresch, dont l’entreprise Enerprice est d’ailleurs membre.
Mais des solutions existent. La Suisse pourrait par exemple essayer de s’approvisionner davantage en gaz auprès de l’Italie. Une autre variante consisterait à construire des installations de stockage de gaz naturel liquéfié. «Mais cela prend du temps et est incroyablement cher», relativise Andreas Tresch.
À court terme, un achat dans des dépôts de gaz de l’espace européen pourrait également aider. «Nous ne savons toutefois pas si, en cas d’urgence, le gaz continuerait à arriver», dit-il.
La Pologne et la Bulgarie réagissent
De son côté, la Pologne a anticipé le problème. Elle dispose de dépôts presque pleins et a déjà pu ouvrir de nouveaux canaux de livraison.
La Bulgarie, elle, s’est vue promettre de l’aide par le chef du gouvernement grec Kyriakos Mitsotakis, comme l’ont rapporté les médias grecs mercredi. La Bulgarie pourrait ainsi être reliée plus rapidement que prévu au gazoduc Trans Adria, qui traverse la Grèce et l’Albanie depuis la Turquie et termine en Italie, dans les pouilles. En outre, la Grèce veut augmenter ses capacités de stockage.
(Adaptation par Alexandre Cudré)