Ce qui se passe en Biélorussie en ce moment est épouvantable. Le dirigeant Alexandre Loukachenko fait venir par avion des milliers de migrants d'Afrique et du Moyen-Orient pour les faire entrer clandestinement en Pologne et en Lituanie, et donc dans l'UE. Il s'agit de sa réponse aux sanctions imposées par l'UE, qui, avec les États-Unis, ne reconnaît pas le résultat de l'élection présidentielle de 2020.
La souffrance à la frontière est grande. Les migrants doivent patienter par des températures allant jusqu'à moins dix degrés, dans l'espoir de franchir la frontière polonaise. Beaucoup se blessent sur les mini-lames tranchantes des barbelés. Derrière eux, des soldats biélorusses les poussent à avancer à coups de crosse; devant eux, une armée de forces de sécurité polonaises leur pulvérise des gaz lacrymogènes dans les yeux.
La guerre des migrants
La tactique de Loukachenko est appelée guerre hybride. Il souhaite établir une menace durable à plusieurs niveaux. L'objectif de l'attaquant n'est pas de causer des dommages matériels, mais de déstabiliser les sociétés adverses et d'influencer l'opinion publique.
Utiliser des migrants comme arme politique est un jeu sale qui n'est pas une invention du dictateur biélorusse. D'autres États ont déjà utilisé les personnes en fuite comme moyen de pression contre l'Europe.
Début 2020, des scènes similaires ont eu lieu à la frontière entre la Turquie et la Grèce, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan a autorisé des milliers de migrants à poursuivre leur route. Les Grecs avaient alors verrouillé les frontières avec l'aide de l'UE. Le conflit concernant les migrants a fait des morts et des blessés.
Pour Erdogan, les quelques millions de migrants présents dans son pays représentent surtout une chose: une manne financière. Cet été, l'UE lui a promis 3,5 milliards d'euros supplémentaires pour retenir les migrants.
Une méthode déjà utilisée par Kadhafi
En mai de cette année, le Maroc a ouvert la clôture frontalière à l'exclave espagnole de Ceuta. En l'espace de deux jours, environ 12'000 Marocains ont afflué vers la ville espagnole du nord de l'Afrique par voie terrestre et à la nage.
Des pays comme l'Algérie et le Nigeria laissent également partir les migrants pour faire chanter l'Europe. Dans la plupart des cas, les gouvernements eux-mêmes ne sont pas disposés à reprendre les demandeurs d'asile déboutés ou leurs compatriotes condamnés, malgré les accords.
Fin 2010 déjà, le dictateur libyen Mouammar Kadhafi (1942-2011), avait menacé d'envoyer des réfugiés si l'UE ne lui apportait pas son soutien sous forme de milliards d'euros et d'assistance technique. Il a déclaré à l'époque que le continent européen «chrétien et blanc» allait alors «devenir noir».
Les États se livrent aussi délibérément à la désinformation. Il y a quelques années, le nombre de migrants originaires de Tchétchénie a fortement augmenté dans l'UE. La raison: des rumeurs ont été délibérément propagées dans le Caucase selon lesquelles l'Allemagne allait accueillir des milliers de personnes, leur verser une allocation de bienvenue et leur fournir un appartement.
Les migrants comme monnaie d'échange
Ce phénomène va continuer à prendre de l'ampleur. Le ministère allemand de l'Intérieur avait déjà lancé une mise en garde à ce sujet au printemps. Certains États utiliseraient la migration en partie comme une «monnaie d'échange».
Afin d'augmenter la pression sur un pays de destination comme l'Allemagne, «les flux migratoires seraient dirigés spécifiquement vers une certaine section de la frontière avec l'UE». Des campagnes sur les réseaux sociaux tenteraient de «mobiliser les migrants pour qu'ils traversent la frontière en masse».
La Suisse se tient prête
La Suisse observe la situation en Biélorussie «avec inquiétude». Sur demande, le DFAE écrit: «Le fait que les migrants soient instrumentalisés pour poursuivre des objectifs politiques est choquant et doit être condamné.»
Une protection solide de toutes les frontières extérieures étant «une base pour une situation migratoire stable en Europe», la Suisse «continuera à faire preuve de solidarité dans cette tâche commune et examinera les demandes correspondantes dans le contexte de la situation actuelle».
L'UE est plus explicite. Lors du dernier sommet à Bruxelles, elle a déclaré au dirigeant biélorusse Loukachenko: «le Conseil européen n'acceptera aucune tentative de la part de pays tiers d'exploiter les migrants à des fins politiques.»
Cependant, l'UE n'a pas beaucoup d'autres options que d'étendre encore les sanctions contre le Belarus. Cela ne résout pas le drame actuel à la frontière du pays.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)