Ils sont les derniers témoins vivants. Ils ont vu et vécu de leurs yeux et dans leur chair une horreur que personne ne peut imaginer. Ces ultimes survivants de la Shoah, la politique d’extermination des Juifs par les Nazis (qui déportèrent aussi en masse les Tziganes et les homosexuels), sont à l’honneur ce lundi 27 janvier pour le 80e anniversaire de la découverte du complexe concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, par l’armée soviétique à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Qu’ont-ils à nous dire? Y compris pour un pays comme la Suisse qui, durant le conflit, ne participa pas aux hostilités. Ce qui n’empêcha pas les autorités helvétiques de l’époque de pratiquer une politique raciste «d’aryanisation» de l’économie, exposée dans le rapport de la commission Bergier de mars 2002 sur l’attitude de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale. La réponse en cinq portraits francophones.
Ginette Kolinka, sourire face à la mort
Née le 4 février 1925 à Paris 11e, Ginette Kolinka est une survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau qui, depuis les années 2000, s’évertue à parler à la jeunesse. Elle est l’une des héroïnes du livre «Les filles de Birkenau» (Ed. des Arènes) et son sourire irradie souvent sur les plateaux TV. Sa citation favorite devant les élèves qu’elle accompagne sur le site d’extermination? «Birkenau, maintenant, c’est un décor. Quelqu’un qui n’en connaît pas l’histoire peut ne rien voir. D’ailleurs quand j’y retourne, je dis toujours aux élèves: surtout, fermez les yeux, ne regardez pas! Et je leur répète: sous chacun de vos pas, il y a un mort…» La transmission de sa mémoire de survivante passe aussi par son fils Richard, ancien batteur du groupe de rock français «Téléphone».
Yvette Lévy, au nom de l’étoile
«Imaginez-vous ce que cela faisait de la porter tous les jours». Yvette Lévy a encore pris dans ses mains de très vieille dame de 98 ans, l’étoile jaune que sa mère avait cousue sur sa blouse d’enfant, avant le départ pour la déportation. Cette étoile faisait d’elle une paria, une jeune juive à envoyer à la mort. Yvette faisait partie, en juillet 1944 du dernier convoi pour le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Un mois plus tard, Paris, sa ville, était libéré de l’occupation nazie. Ce qu’elle répète sans cesse: la déportation ne fut pas que l’affaire des Allemands fanatiques. Combien de policiers français furent les auxiliaires zélés des nazis?
Piotr Cywinski, écrire contre l’oubli
Cet homme-là n’est pas un survivant de la Shoah et du génocide. Il est la voix de tous ceux qui ont survécu, mais aussi des centaines de milliers qui ont disparu dans ce complexe concentrationnaire, gazés dès leur arrivée par le train, tués sauvagement ou morts d’épuisement, de faim et de manque de soins. Son livre «Auschwitz, une monographie de l’humain» (Ed. Calmann Levy) est un travail colossal qui retrace, jour après jour, mètre après mètre, la vie quotidienne dans les différents camps. Sa conviction? «Le fond du problème, c’est qu’on parle tous 80 ans plus tard un langage qui vient d’un monde normal. Mais Auschwitz était un monde inhumain. C’est pour cela que beaucoup de survivants se sont tus».
Michael Bornstein, Israël à l’épreuve
Ce survivant d’Auschwitz parle souvent, en public, aux côtés de sa fille. Il a parlé, avant la commémoration du 27 janvier, au «Times of Israël». De nouveau présent à Auschwitz, il met en garde les jeunes générations: «Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis venu ici il y a cinq ans, à l’occasion du 75e anniversaire. A l’époque, il y avait 120 survivants dans la salle, alors qu’aujourd’hui il n’y en a plus que 17. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky était assis juste en face de nous. Il y a cinq ans, jamais je n’aurais imaginé que mes petits-enfants en âge d’aller à l’université connaîtraient le harcèlement et la haine sur leur campus. Aujourd’hui, c’est le cas. Il y a cinq ans, Israël était en paix. Ce soir, 90 otages sont encore détenus par des terroristes palestiniens». Comment parler de la Shoah devant l’ampleur des massacres de civils dans la bande de Gaza, suite à l’assaut terroriste du Hamas palestinien le 7 octobre 2023?
Francine Christophe, l’autre mémoire
Cette Française née en 1933, auteure de «L’enfant des camps» (Ed Grasset), a été déportée dans un autre camp de concentration: celui de Bergen-Belsen, en Basse-Saxe. A partir de 1943, les Nazis y déportèrent de nombreuses femmes françaises, juives ou résistantes, avec leurs enfants. Bergen-Belsen est une autre mémoire. Le camp fut découvert le 15 avril 1945 par l’armée britannique. Son témoignage? «Arrêtée, puis déportée à huit ans et demi parce que petite fille juive, je savais mes tables de multiplication jusqu’au «5». À mon retour, j’avais douze ans, mes parents me mirent au collège, en classe de sixième; tous les autres élèves connaissaient la suite des tables. Pas moi. Elles s’étaient perdues, englouties dans un trou de trois ans et demi. Personne n’y avait songé à l’époque, c’était en 1945, l’Allemagne avait capitulé, on voulait oublier la guerre».