Claude Wild ne se laisse pas déstabiliser par quoi que ce soit, pas même par les missiles russes qui pleuvent sur Kiev. Les explosions de ce matin? Oui, il les a aussi entendues, dit l'ambassadeur suisse en Ukraine en commandant un café à l'employée de l'ambassade.
Blick rencontre l'ambassadeur fin janvier à Kiev. Dehors, l'hiver est glacial. Des sirènes retentissent régulièrement dans la capitale. Sur la petite table de salon du bureau de Claude Wild, il y a des boules Lindor et des fleurs. Un monde parallèle helvétique, au milieu d'une guerre terrible.
Début mars, alors que les chars de Poutine se trouvaient soudainement à la périphérie de Kiev, le Genevois aux racines zurichoises a été emmené hors du pays par l'unité spéciale suisse lors d'une action spectaculaire. Deux mois plus tard, il a rouvert l'ambassade à Kiev. La peur, dit Claude Wild, n'est pas bonne conseillère dans de tels moments.
Depuis, avec ses 40 collaborateurs, il brave toutes les résistances, coordonne l'aide suisse sur place, se rend régulièrement dans les régions touchées, est allé chercher le président de la Confédération Ignazio Cassis à la gare de Kiev en octobre et s'est assis à la même table que le président Volodymyr Zelensky.
Claude Wild a fait preuve de courage cette année, s'est engagé, a donné un visage déterminé à une Suisse parfois hésitante en Ukraine. A la fin du mois, il sera transféré à Strasbourg après quatre ans passés à Kiev et commencera à représenter la Suisse auprès du Conseil de l'Europe. Interview.
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Qu'est-ce que cette année de guerre a eu comme effets sur vous personnellement?
Toute cette brutalité et cette absurdité, cela vous marque. Presque tous les jours, des connaissances de partenaires, de collaborateurs ou d'amis meurent. C'est bien plus différent que d'observer la guerre depuis une distance sûre, où l'on ne voit que les chiffres et les statistiques. Heureusement, le soir, je suis tellement fatigué que je peux quand même bien dormir.
Quel moment vous a particulièrement marqué?
L'odeur des cadavres en décomposition dans la ville d'Izioum, dans l'est de l'Ukraine: je ne l'oublierai jamais. J'étais présent en tant qu'ambassadeur lorsque les fosses communes ont été creusées dans la ville libérée.
Depuis mai, une équipe de l'unité spéciale DRA10 de l'armée suisse est installée chez vous. Comment protègent ils l'ambassade?
Je ne peux pas vous donner de détails. Mais les gens du DRA10 sont des professionnels de haut niveau. Jusqu'à présent, ils ont toujours trouvé une solution rapide à chaque problème.
Le président Volodymyr Zelensky appelle le monde à «plus de rapidité et de détermination». Souhaitez-vous que la Suisse fasse de même?
La Suisse a agi avec rapidité et détermination. Dans une guerre, il n'y a pas que le front militaire, il y a aussi le front économique et le front humanitaire. La Suisse est très active sur ces deuxième et troisième fronts.
Comment exactement?
Alors que d'autres pays donnent en premier lieu de l'argent aux grandes organisations humanitaires, nos équipes se rendent près de la zone de combat pour réparer les conduites d'eau. Autre exemple: la Suisse investit 14 millions de francs dans des crampons de rail spéciaux dont l'Ukraine a besoin pour réparer les tronçons de voie détruits. La Suisse, pays ferroviaire, aide l'Ukraine, pays ferroviaire. Rapidement et sans complications.
L'Ukraine veut que la Suisse confisque tous les fonds russes et les mette à disposition pour la reconstruction après la guerre. Une bonne idée?
La reconstruction de l'Ukraine va coûter énormément d'argent. Mais si l'on ne fait rien, les coûts pour l'Europe et le monde seront encore bien plus importants. La question de savoir si l'argent pour la reconstruction doit provenir uniquement de nous, les contribuables, ou si l'on doit utiliser à cet effet les avoirs russes de personnes sanctionnées ou de financiers de guerre, est certainement légitime. Mais la plupart des pays n'ont pas de base juridique pour l'expropriation – la Suisse non plus. Notre pays continuera à participer aux discussions internationales.
La Suisse ne fournit ni casques, ni armes, et freine les fournisseurs d'armes potentiels comme l'Allemagne par exemple: Pouvons-nous nous permettre cet attachement obstiné à la neutralité?
La Suisse applique le droit de la neutralité. Et celui-ci stipule que nous ne livrons pas d'armes à un pays en guerre. La question de savoir si la Suisse doit assouplir cet état juridique relève de la compétence du Parlement et du gouvernement.
En Ukraine, on ne comprend guère notre neutralité.
L'Ukraine est en pleine lutte pour sa survie et n'a pas le temps de se pencher en détail sur notre politique de neutralité. Mais il va de soi que la Suisse serait très appréciée si elle livrait du matériel de guerre.
Quel rôle la Suisse pourrait-elle jouer dans un procès contre les responsables de la guerre?
Le «Center for Civil Liberties» de Kiev, qui a remporté le prix Nobel de la paix en 2022, a déjà documenté à lui seul plus de 29'000 crimes de guerre en Ukraine. Mais à l'heure actuelle, il n'existe pas de tribunal international qui puisse traiter les faits de «guerre d'agression». Pour cela, il faudrait un nouveau tribunal ad hoc. Je ne peux pas juger pour l'instant du rôle que la Suisse pourrait y jouer.
En tant que membre du Conseil de sécurité de l'ONU, la Suisse a actuellement un rôle particulier à jouer. Mais la Russie est également dans ce Conseil: nous devrions l'exclure.
On n'est pas exclu d'un organe de l'ONU si l'on enfreint la charte. A l'ONU, il s'agit de faire en sorte que tout le monde se parle et négocie. Le dialogue est l'instrument central. Il permet d'envoyer des messages clairs à un agresseur par le biais de discussions et de résolutions.
A la fin du mois, vous quittez le poste d'ambassadeur après quatre ans à Kiev. Un changement de personnel à la tête de l'ambassade est-il judicieux en pleine guerre?
Ce départ est personnellement difficile pour moi. Ce n'est pas facile de quitter mon équipe ici, en pleine guerre. Mais les règles sont claires et bien justifiées: L'ambassadeur quitte le pays après quatre ans, dans mon cas pour Strasbourg, où je serai ambassadeur de Suisse auprès du Conseil de l'Europe.
Quel enseignement tirez-vous de vos quatre années à Kiev?
La guerre en Ukraine montre à quelle vitesse un pays et sa population peuvent être détruits pour des raisons totalement absurdes. Il est extrêmement important que nous nous protégions nous-mêmes et tout ce que nous avons élaboré et obtenu, à tous les niveaux. Pas seulement de manière défensive, mais de manière proactive. Pour cela, il est essentiel que les gens soient libres et pensent librement. Sans eux, nous sommes perdus.
Que peut apprendre la Suisse de l'Ukraine?
Les Ukrainiens allient la force, la tête et le cœur d'une manière unique. Cela a été clairement démontré dans la lutte pour la survie du pays. Il serait bon que cette combinaison ne s'exprime pas seulement là où un pays doit se défendre par les armes, mais aussi ailleurs et en temps de paix.
(Adaptation par Lliana Doudot)