Cinq ans après des révélations qui avaient ouvert la voie au #Metoo français et bouleversé le monde du cinéma, Adèle Haenel fera face au réalisateur Christophe Ruggia au tribunal, où il est jugé lundi et mardi pour agressions sexuelles sur mineure.
Christophe Ruggia, qui conteste les accusations, et Adèle Haenel, partie civile au procès, seront présents au tribunal correctionnel de Paris à l'ouverture de l'audience en début d'après-midi, ont indiqué leurs avocats respectifs. Des associations féministes ont appelé à un rassemblement à l'extérieur à midi.
La justice s'était saisie de cette affaire en 2019, après une enquête de Mediapart sur les faits dénoncés par l'actrice qui s'est depuis mise en retrait du cinéma. Adèle Haenel avait 11 ans lors du casting du film «Les Diables» de Christophe Ruggia et 12 pendant le tournage, à l'été 2001.
Le long métrage, dont des extraits devraient être diffusés au procès, raconte la fugue perpétuelle d'un frère et de sa soeur autiste abandonnés à la naissance. Une histoire qui devient incestueuse, avec plusieurs scènes de sexe entre les enfants et des gros plans sur le corps nu d'Adèle Haenel.
Aux enquêteurs, l'actrice avait raconté ces séquences qui l'avaient mise «très mal à l'aise», d'autres «violentes» comme celle où elle avait dû danser devant une prison sous les cris de «à poil!» de vrais détenus. Et la «bulle» dans laquelle le réalisateur l'avait progressivement «isolée» sur le plateau, demandant à sa famille de ne pas venir pour ne pas la déconcentrer.
Plusieurs professionnels ont décrit leur «malaise» face aux conditions de travail imposées aux enfants, et surtout au comportement de Christophe Ruggia sur le plateau. «Envahissant», «déplacé», «sa main sur la cuisse» de la jeune actrice, «des trucs dans le cou», elle «assise sur ses genoux». «Ca va pas, on dirait un couple c'est pas normal», s'était dit une scripte.
Des agressions sexuelles répétées
Après le tournage, entre 2001 et 2004, l'adolescente se rend «tous les samedis» après-midi ou presque chez celui qui lui répète l'avoir «créée». Les agressions qu'elle dénonce se déroulaient toujours de la même façon: lui assis sur un fauteuil, elle sur le canapé et «très vite» il trouve un prétexte pour se rapprocher.
Il commence par lui caresser les cuisses, remonte «l'air de rien», puis lui touche le sexe ou la poitrine. «Il respirait fort» et «m'embrassait dans le cou», décrit-elle. Et si elle résistait, «il réagissait de manière choquée et avec cet air de 'non mais qu'est-ce que tu vas croire?', alors qu'il avait sa main dans ma culotte.»
Pendant l'enquête, Christophe Ruggia niera tout. Les agressions, les déclarations d'amour, l'emprise. Il évoquera la «sensualité» de l'actrice de 12 ans pendant le tournage. Les «poses» que prenait Adèle Haenel sur son canapé, ses mouvements de «langue», «dignes d'un film porno», qui le mettaient mal à l'aise voire le «dégoûtaient».
Il peinera à expliquer ce qu'ils faisaient pendant plusieurs heures, tous ces samedis après-midi. Se souviendra qu'il lui donnait «un goûter» avant de la ramener chez ses parents. Et mettra les accusations sur le compte d'une «vengeance» car il ne l'aurait finalement pas fait travailler à nouveau.
Il encourt jusqu'à 10 ans de prison
Adèle Haenel a dit avoir décidé de parler publiquement en apprenant que Christophe Ruggia préparait un nouveau film avec des adolescents. Mais elle avait déjà raconté ou évoqué ces agressions des années auparavant auprès de son entourage personnel et professionnel, qui a témoigné de son mal-être, de ses crises d'angoisse.
Elle qui a marqué le public dans «Naissance des pieuvres», «120 battements par minute» et surtout dans «Portrait de la jeune fille en feu» a obtenu deux César, celui de la meilleure actrice, dans «Les Combattants», et du second rôle, dans «Suzanne».
Elle s'est depuis officiellement retirée du cinéma, soldant une carrière qui avait basculé le soir des César 2020, lorsqu'elle avait quitté avec fracas la cérémonie pour dénoncer le sacre de Roman Polanski, accusé d'agressions sexuelles et de viols par plusieurs femmes.
Christophe Ruggia, jugé pour agressions sexuelles aggravées par la minorité de la victime et sa position d'autorité, encourt jusqu'à 10 ans de prison et 150'000 euros d'amende.