Elon Musk sévit depuis quelques semaines déjà dans les limbes de l'administration américaine avec son «Department of Government Efficiency» (DOGE). Il a promis des milliards d'économies, et avant la fin de l'unité administrative temporaire le 4 juillet 2026, ce sont 2 billions de dollars qui devraient être économisés. Mais jusqu'à présent, on n'en voit guère la couleur.
En Suisse, nombreux sont ceux qui applaudissent. On lit souvent dans les commentaires qu'ici aussi, on devrait «faire le ménage dans la bureaucratie».
Notre administration est-elle vraiment trop gonflée? C'est un fait: notre bureaucratie s'accroît. Selon les derniers chiffres, environ 39'000 personnes sont employées par l'administration fédérale. En 2022, l'Institut de politique économique suisse (IWP) de l'université de Lucerne a calculé que les frais de personnel pour les employés de l'État représentent approximativement 6000 francs par habitant.
«Les administrations suisses ne sont pas hypertrophiées», affirme toutefois Adrian Ritz, du Centre de compétence en gestion publique de l'Université de Berne. Certes, la croissance du personnel dans l'administration est supérieure en pourcentage à la croissance démographique. Mais selon les chiffres de l'OCDE, la Suisse se situe dans la moyenne en ce qui concerne la taille de l'administration. Adrian Ritz constate que l'administration suisse s'est surtout développée dans les domaines de la santé, du social et de la formation: «C'est-à-dire précisément là où l'évolution démographique, l'augmentation de la population ou la migration ont des répercussions.»
De combien de bureaucrates avons-nous besoin?
La réduction de la bureaucratie est un thème populaire qui peut facilement être instrumentalisé politiquement. «Bureaucratie» est un terme qui n'est pas défini avec précision et qui a généralement une connotation négative. L'économie, principale victime autoproclamée de la bureaucratie étatique, se plaint souvent de la prétendue augmentation du poids des lois et des réglementations.
«La charge est toujours trop lourde pour l'économie lorsque la réglementation ne lui sert pas», rétorque Adrian Ritz. Selon lui, les réglementations n'ont pas été créées uniquement pour alourdir la charge des uns, mais aussi pour profiter aux autres. «La pression pour faire des économies doit exister, mais lorsqu'il y en a trop, cela est nuisible», poursuit Adrian Ritz. Si la qualité de l'administration souffre trop de la pression, c'est souvent au détriment de la population.
En fin de compte, il s'agit de trouver un équilibre: souhaitons-nous une économie libérée des règles, qui n'a pas à se soucier des dispositions relatives aux travailleurs, à l'environnement et autres? Ou un appareil gouvernemental qui régule l'économie, fournit un filet de sécurité sociale de base, promeut l'infrastructure et protège les droits des citoyens et des travailleurs?
DOGE économise en fonction des intérêts politiques
Il vaut la peine d'examiner plus précisément les actions du DOGE. Jusqu'à présent, l'agence de Musk s'est surtout donnée en spectacle pour satisfaire les électeurs de Trump. Voici ce que le DOGE a mis en œuvre dans la phase initiale:
- Réduction des programmes DEI – c'est-à-dire les programmes qui doivent promouvoir la diversité dans les entreprises et les institutions. Là, on s'attaque en bloc aux «woke». Entre autres dans le ministère de l'Éducation, où 116 millions de dollars sont économisés. Économie totale: soi-disant 1 milliard de dollars.
- Action contre l'agence d'aide américaine USAID, où près de 7000 collaborateurs ont été licenciés jusqu'à présent. En outre, les fonds d'aide ont été gelés, mais les économies réelles sont floues.
- Bureau de protection des finances des consommateurs: le bureau a dû licencier 100 collaborateurs et doit être entièrement fermé. Là aussi, les économies ne sont pas claires.
- Les contrats de location de 24 bâtiments administratifs à Washington D.C. sont suspendus et permettent d'économiser 44,6 millions de dollars.
- L'agence de protection de l'environnement EPA a dû supprimer 400 postes, l'agence de protection des forêts US Forest Service 3400 postes, le National Park Service 1000 postes ainsi que 5000 employés saisonniers ne seront pas réengagés. Pour le moment, le montant des économies ne peut pas être défini.
- Santé et affaires sociales: le Department of Veterans Affairs doit licencier 1000 collaborateurs, le ministère américain de l'Agriculture 2400, l'administration des PME Small Business Administration plus de 100. Et le ministère de la Santé devrait perdre la quasi-totalité de ses 5200 collaborateurs en période d'essai, soit 10% de ses effectifs. Les économies sont encore à définir.
- Protection des frontières, sécurité et aide d'urgence: 405 fonctionnaires du Department of Homeland Security (DHS) ont dû partir, ainsi que 200 fonctionnaires de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) et 130 fonctionnaires de la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency. À nouveau, aucun chiffre sur les économies n'a été communiqué.
Bien qu'Elon Musk ait promis la transparence, les économies sont pour le moment difficilement quantifiables, soit parce qu'elles ne sont pas encore déclarées avec précision, ou alors, elles font l'objet de litiges juridiques. Après estimation, elles devraient s'élever à moins de 2 milliards de dollars. Une broutille au vu du budget américain s'élevant à 1606 milliards de dollars.
Il est important de noter qu'avec 895 milliards de dollars, le ministère de la Défense se taille une part de choix dans le budget américain. Contrairement aux objectifs de réduction du DOGE, le président américain Donald Trump souhaite augmenter les dépenses du domaine de la défense. Elon Musk et son équipe doivent y contribuer en détournant «des milliards de dollars d'inefficacité».
Le «Washington Post» a publié un plan pour les objectifs du DOGE. On y voit comment les économies visent en premier lieu les projets DEI, car ceux-ci sont «dignes d'être économisés». Au final, il s'agit moins de finances que de messages politiques.
Des idées peu claires sur le budget de l'État
Il leur est en tout cas utile que la population ait de fausses croyances. De nombreux Américains pensent que les Etats-Unis dépensent trop pour l'aide étrangère. Or, l'aide étrangère ne représente qu'environ 1% du budget national.
Qu'en est-il de «l'Etat hypertrophié» prôné par Musk? Elaine Kamarck de la Brookings Institution constate: «La population américaine a augmenté d'environ 68% au cours des 50 dernières années, alors que le nombre de personnes employées par le gouvernement fédéral a diminué. Mais les dépenses de la Confédération ont été multipliées par cinq au cours de la même période.» Ce dernier point est lié à l'augmentation massive du nombre de contractants du gouvernement, là aussi principalement au sein du ministère de la Défense. Parallèlement, les déficits budgétaires ont été causés par des réductions d'impôts et par diverses guerres.
Enfin et surtout, on peut se demander si ces économies sont souhaitées par la population. Elon Musk et Donald Trump aiment se référer au fait qu'ils sont «mandatés par le peuple». Sans compter que près de la moitié du pays n'a pas voté pour Trump, un sondage réalisé fin janvier par l'institut AP-NORC Center for Public Affairs Research a révélé que seulement 29% des Américains souhaitaient la suppression d'un grand nombre de postes fédéraux, tandis que 40% y étaient opposés et 29% n'avaient pas d'opinion. Parallèlement, 67% des personnes interrogées estimaient que les Etats-Unis ne dépensaient pas assez pour la sécurité sociale, 65% pensaient qu'ils ne dépensaient pas assez pour l'éducation et 62% qu'il n'y avait pas assez d'aide pour les pauvres.
Entre-temps, de nombreux électeurs de Trump découvrent qu'une grande partie de ce qu'Elon Musk appelle «gaspillage, fraude et corruption» sont des programmes dont ils bénéficient. Par exemple, les agriculteurs qui ont soutenu Trump à une majorité de trois contre un sont fortement touchés par le gel des fonds de l'Inflation Reduction Act pour la protection des terres, des sols et de l'eau. Mais l'essentiel est d'en faire voir de toutes les couleurs aux «wokistes» de Washington.