Une pluie de félicitations. Des compliments exprimés par ses pairs, chefs de l’État ou chefs de gouvernement. Le sentiment du devoir accompli, durant ce semestre marqué par l’une des plus graves crises traversée par le continent européen depuis la seconde guerre mondiale.
Emmanuel Macron a obtenu, à l’issue du sommet européen des 23 et 24 juin à Bruxelles, ce qui lui manque tant aujourd’hui en France: une reconnaissance. Le voilà salué pour ses six mois de présidence tournante de l’Union européenne, qui s’achèveront le 30 juin, juste après le sommet de l’Otan à Madrid. Alors qu’à Paris, dès ce week-end, la bataille politique va repartir de plus belle pour savoir s’il pourra, ou non, disposer d’une majorité de députés au sein de l’Assemblée nationale élue le 19 juin.
Macron l’Européen était à son aise à Bruxelles
Macron l’Européen était à son aise à Bruxelles. Cela se voyait. Cela se sentait. Rien de tel, pour un président à l’aise dans l’économie libérale mondialisée, que de défendre l’idée, comme il l’a fait ce vendredi, d’une future communauté géopolitique européenne qui permettrait d’associer des Etats non-membres de l’UE, y compris la Suisse.
Elu en 2017 sur une plate-forme résolument européenne, fêté par ses partisans le soir de sa victoire, il y a cinq ans, sur fond d’Hymne à la joie de Beethoven, le chef de l’État Français n’est jamais aussi bon que pour échafauder des plans et des alternatives, en espérant rendre possible son fameux «en même temps».
Or qu’est-ce que l’Europe communautaire, depuis sa création en 1957 avec le Traité de Rome par ses six pays fondateurs, sinon un éloge du «en même temps» devenu réalité. Une Europe à la fois libérale et sociale. Une Europe basée sur la décision d’Etats souverains de partager... leur souveraineté. Et que rêver mieux, pour ce quadragénaire talentueux et anglophone, que les négociations en coulisses entre brillants technocrates de tous pays.
Le voici d’ailleurs à la manœuvre jusqu’au dernier jour: c’est à lui que doit revenir, ces jours-ci, le soin de lever le veto mis par la Bulgarie à l’avancée de la candidature européenne de la Macédoine du nord. Lui, le Chef de l'État sans majorité absolue, en train d'arracher un vote majoritaire pro-européen au parlement de Sofia. Les Balkans! Voilà de la complexité à revendre, comme l’aime ce président à la pensée complexe.
A Paris, redevenir marchand de tapis
Et maintenant? L’inverse. A Bruxelles, Emmanuel Macron est dans son élément au milieu de ces hauts fonctionnaires souvent bardés de diplômes et fins connaisseurs des dossiers. A Paris où il devra batailler dès la rentrée de la nouvelle législature début juillet pour chaque voix de député, son quinquennat va ressembler à celui d’un maquignon ou d’un marchand de tapis.
J’exagère? Jugez plutôt. Sa première ministre tout juste nommée, Elisabeth Borne, est déjà aux abonnées absentes. Ses troupes présidentielles, qui forment encore le plus gros groupe à l’Assemblée nationale, ont fondu au fil de son premier mandat. Lui pense réformes, avenir, mise en conformité de la France, sur des questions comme l’âge de départ à la retraite, avec les autres grandes puissances économiques occidentales. Alors qu’une majorité d’électeurs français, cruellement ordinaires, veulent d’abord que l’Etat s’occupe d’eux, règle leurs problèmes, et leur garantissent si possible les mêmes acquis sociaux qu’à la belle époque des années soixante-dix.
Voilà le drame d’Emmanuel Macron. Qu’il le veuille ou non, et malgré sa réélection le 24 avril avec 58,5% des voix, le locataire de l’Elysée ne parviendra jamais à se mettre au niveau, ou à la portée, de ces Français ordinaires dont Marine Le Pen est devenue l’assistance sociale en chef, et Jean-Luc Mélenchon le chef d’orchestre de leurs rêves révolutionnaires.
Macron l’Européen est élitiste comme on l’est à Bruxelles, là où les gens finissent par moins compter que les chiffres, les statistiques, les impératifs financiers et les indispensables compromis avec la raison d’État. Rien de déshonorant à cela. Les réalités auxquelles sont confrontées les pays à l’heure des défis posés par Vladimir Poutine sont bien éloignées de celles qui font, ou défont une élection française. Ce décalage est un fossé, voire un précipice. Pas étonnant que quitter la présidence tournante de l’Union européenne pour la confier à la République tchèque soit un sacré crève-cœur.
Le fantôme européen de Sarkozy
Un autre président Français avait fait l’expérience de cette parenthèse européenne presque enchantée: Nicolas Sarkozy en 2008, lorsque la France présidait aussi l’UE. Sarko le marathonien - désormais pro-Macron - avait adoré ses interminables aller-retours entre Bruxelles et Moscou, pour éteindre l’incendie de la guerre en Géorgie. Il se félicitait même, à Strasbourg, de la qualité des journalistes en poste auprès de l’Union, bien plus sérieux que la presse nationale.
Ah, l’Europe. Si parfaite lorsqu’elle permet de se rêver en patron d’une grande puissance. Si séduisante lorsqu’elle permet d’échafauder des plans avec des centaines de milliards d’euros à la clef de financement. Mais si piégeuse aussi, l’Europe. Car à force de la fréquenter, le risque de s’éloigner des préoccupations simples de ses concitoyens est presque inévitable.
Il reste encore une semaine de bonheur international à Emmanuel Macron. Au sommet du G7 en Bavière, puis sein de l’Alliance Atlantique à Madrid, les 29 et 30 juin, ce président pourra rêver d’une France enfin apaisée aux côtés de ses pairs européens, et de Joe Biden. Puis la réalité reprendra ses droits. La France est en ébullition. Sa chaudière politique est en pleine convulsion. Et personne ne croit qu’en 2022, le refrain du «en même temps» suffise à la refroidir.