Ils sont montés sur un autre ring: celui de la plus puissante coalition militaire mondiale. Vitali et Vladimir Klitschko, tous deux anciens champions du monde de boxe dans la catégorie poids lourds, cognent désormais sur un adversaire nommé Vladimir Poutine. Et cette fois, pas de quartier. Ce combat-là est vital. Pour eux. Pour leur pays. Au sommet de l’OTAN à Madrid, ils sont venus pour le gagner.
Vitali et Vladimir, deux anciens boxeurs poids lourds
Le premier, Vitali, 50 ans, est maire de Kiev, la capitale ukrainienne. Il apparaît régulièrement sur la ligne de front, en T-shirt kaki, comme Volodymyr Zelensky. Le second, Vladimir, est à la tête de plusieurs organisations d’entraide pour coordonner les secours qui affluent vers l’Ukraine. Une heure durant, invités du Forum Public de l'OTAN, les deux frères les plus célèbres d’Ukraine ont boxé avec les mots pour pousser la Russie de Poutine dans les cordes.
Une Russie qu’ils connaissent bien, car elle est «leur» famille. «Notre mère est Russe, a plusieurs fois répété Vitali, du haut de ses 2,02 mètres, costume et cravate de l’homme politique en tournée. Elle ne parle pas ukrainien. Et où se trouve-t-elle? À Kiev, sous les bombes et les missiles. Comme ses deux fils.»
Les armes lourdes et les médias
À quelques centaines de mètres de la scène sur laquelle ils ont pris place pour ce débat retransmis dans la salle de presse, devant des centaines de journalistes internationaux, les dirigeants des trente pays membres de l’OTAN viennent d’entendre Volodymyr Zelensky leur demander, à distance, de nouvelles livraisons d’armes lourdes.
Vitali Klitschko entame aussitôt un nouveau round pour convaincre. «Nous avons deux types d’armes dont nous pouvons faire usage. Ce sont les seuls efficaces contre Poutine, pour éviter que son armée continue de tuer des femmes et des enfants sous les frappes de missiles sur des cibles civiles, comme celle de Krementchouk (ndlr: où un centre commercial a été touché lundi 27 juin). La première, ce sont les armes lourdes que nous réclamons. La seconde, ce sont les médias.» L’élu de Kiev lève le poing. Il l’abat devant les caméras. Il a choisi, ces jours-ci, de se battre par d’autres moyens.
«Seuls, on ne peut pas mettre Poutine KO»
Sortir d’Ukraine présentait des risques pour les deux frères. La propagande russe les a d’ailleurs aussitôt accusés de fuir leur pays et d’abandonner sa population.
Pourquoi ce choix, à l’invitation de l’OTAN, cette alliance dominée par les États-Unis? «Parce qu’on ne peut pas mettre KO Poutine tout seuls, répond Vladimir au député américain de Virginie, Gerry Connolly. Nos poings ne suffisent pas face à cet adversaire-là, car il n’y a pas d’arbitre pour ce combat. La Russie a fait voler en éclats toutes les règles de la guerre. J’ai parlé ce matin encore à une mère qui vient de perdre sa fille de 6 ans dans un bombardement. Si l’OTAN a besoin de retrouver une raison d’être, elle est là. La Russie veut de nouveau nous enfermer dans le cercueil de l’Union soviétique.»
Les destructions de Kiev
Les deux frères parlent en anglais. Puis ils répondent à une question en allemand, et reprennent leur souffle en ukrainien. Ils tapent avec cadence. Vitali joue aux diplomates. Vladimir, en T-shirt et baskets, lâche ses coups pour assommer cet adversaire nommé Poutine. «L’OTAN a été inventée pour contenir la menace communiste après la Seconde guerre mondiale. Nous sommes votre raison d’être», répète-t-il devant son auditoire composé de diplomates, d’officiers en uniforme, de membres des délégations des chefs d’État ou de gouvernement.
Juste avant, son frère, le maire de Kiev, a monté un clip vidéo de deux minutes. La capitale ukrainienne y est présentée comme une personne. Les destructions sont filmées par un drone. Les étages explosés sous l’impact des missiles défilent sous nos yeux comme si nous les avions devant nous. Dans un appartement éventré, la culotte d’une petite fille traîne sur une chaise brisée. L’OTAN, cette lourde machine qui vit au rythme des gouvernements et des États-Majors, apparaît soudain comme une organisation humaine. Les Klitschko lui redonnent une raison de vivre et de se battre.
Des tanks et des canons
«Je n’aurais jamais pensé que je viendrais à un tel sommet réclamer des canons et des tanks, avoue Vladimir. Or c’est notre premier besoin. Je suis un humanitaire qui a pris les armes. Nous n’avons pas d’autre choix. Depuis le 24 février et le déclenchement de la guerre, ce conflit est le vôtre.» Lui aussi a tendu le bras et refermé le poing. Il fend brusquement l’air, comme s’il décochait un uppercut.
Sur le ring de l’OTAN, les frères Klitschko n’ont cessé de dire qu’il est possible de mettre la Russie KO. Sauf que personne ne sait combien de rounds les Ukrainiens devront tenir pour en arriver là.