Une frénotomie linguale, ça ne vous dit rien? Ce terme spécifique à la pédiatrie définit pourtant un acte chirurgical de plus en plus répandu sur les nouveaux-nés. Il consiste à couper le frein de la langue, c'est-à-dire ce petit bout de chair qui relie la langue au plancher de la bouche, lorsqu'il est trop court ou trop épais chez les bébés. Cet acte chirurgical permettrait de faciliter l'allaitement.
«Pratique abusive»
Mais selon «Le Monde», cette pratique de plus en plus répandue inquiète les milieux pédiatriques. Dans plusieurs pays, l'augmentation de ce type d'intervention est «spectaculaire» selon l'Académie française de médecine. En Australie, le nombre de frénotomies linguales a enregistré une hausse de +3710% entre 2006 et 2016 pour la seule région de Sydney. Aux États-Unis, leur nombre a été multiplié par 5 entre 2003 et 2012. Aux côtés de l'Association française de pédiatrie ambulatoire et d'autres associations scientifiques ou professionnelles, l'Académie alerte sur cette «pratique abusive».
Car en France aussi: «Nous avons constaté des remontées de cas de nombreux parents qui ont fait couper les freins de la langue de leur bébé», indique à nos confrères du «Monde» la pédiatre Nathalie Gelbert. Selon elle, cette intervention chirurgicale est courante et ancienne en maternité. Elle a pour but de fluidifier l'allaitement en cas de douleur du bébé et est réalisée uniquement par un pédiatre avant que le nouveau-né ne quitte la maternité.
Manque de preuves scientifiques
Mais l'intervention est de plus en plus recherchée par les parents, en prévention de soi-disant reflux gastriques ou de potentiels futurs troubles du langage par exemple. Des conseils en tout genre fleurissent notamment sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs sociétés savantes australiennes ou américaines ainsi que la revue «Cochrane», l'utilité de la section du frein de la langue chez les bébés manque toutefois de preuves scientifiques.
Situation stable au CHUV
En Suisse aussi, la problématique est connue, mais il reste difficile de constater clairement le nombre d'interventions. «Les gestes sont souvent sous-documentés mais, au CHUV, nous avons actuellement 10 à 20 opérations de ce genre par années. Cela représente une incidence de 3 à 5 sur 1000 naissances et reste stable», explique Sophie Fries, responsable de l'Unité ORL pédiatrique et audiologie infantile du CHUV.
Confort de la maman
Quant à l'utilité de la frénotomie, la spécialiste abonde envers le manque de preuve scientifique: «Dans la littérature, il n’y a pas d’évidence claire qu'une opération améliore le geste de la têtée chez le nouveau-né, ceci reste toujours encore controversé», continue-t-elle. Elle assure aussi que l'intervention n'est pas dangereuse pour le bébé et que celle-ci peut aussi contrer les douleurs que pourrait ressentir la maman lors de l'allaitement. Selon Sophie Fries, «la difficulté de la mise en route de l’allaitement est souvent plurifactorielle, une intervention permet de débloquer quelques fois la situation.»
Ainsi, sans céder à divers arguments alarmistes, une frénotomie linguale peut rester un acte utile, pour autant bien sûr qu'il soit réfléchi et bien supervisé par un spécialiste.