Madrid voit en lui un ennemi d’Etat, un putschiste. Mais pour les Catalans, il est un héros. Jordi Cuixart i Navarro est le séparatiste le plus populaire d’Espagne.
Depuis des années, il se bat sans relâche pour «l’independència», l’indépendance de la Catalogne. Il vient de passer près de quatre ans en prison pour cela. Désormais libre, il quitte son pays et vient s’installer en Suisse.
Le "Blick" a contacté le leader catalan par téléphone. Depuis Barcelone, il confirme: «Oui, je déménage en Suisse avec ma famille.» Il s’établira près de Neuchâtel.
Son entreprise a une filiale à Neuchâtel
Le déménagement n’est pas une fuite politique, souligne Jordi Cuixart. La décision de tourner le dos à la Catalogne s’explique par des raisons privées et commerciales. Il reste ce qu’il a toujours été: un activiste. «Seulement, à l’avenir, je mènerai mon combat pour l’indépendance depuis la Suisse.»
Le Catalan est le fondateur et président de la société Aranow Packaging, spécialisée dans l’emballage. Au printemps, l’entreprise a ouvert une nouvelle antenne à Neuchâtel pour mettre en œuvre des projets de recherche et de développement en collaboration avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
La détention a fait de Jordi Cuixart un martyr
Ce n’est toutefois pas en tant qu’entrepreneur que Jordi Cuixart s’est fait connaître, mais bien en tant que chef de l’influente association culturelle Omnium et en tant que prisonnier politique. Quelques jours après le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, déclaré illégal par le tribunal constitutionnel espagnol le 17 octobre 2017, il a été arrêté et envoyé dans une prison de haute sécurité près de Madrid. L’État espagnol l’accusait de sédition et de rébellion.
La détention a fait de Jordi Cuixart un martyr et a déclenché une énorme vague de protestations. Des centaines de milliers de Catalans, défilant son portrait dans les rues, ont exigé sa libération. Dans une interview accordée à "Blick" à l’automne 2019, son épouse Txell Bonet avait déclaré: «Notre fils pense que la prison est la nouvelle maison de papa.»
Les manifestations ont viré dans la violence
A l’époque, la justice espagnole venait de le condamner à neuf ans de prison. D’autres leaders séparatistes étaient également emprisonnés. Et pour la première fois en Catalogne, les manifestations ont tourné à la violence. Pendant des semaines, les émeutes rythmaient le quotidien de Barcelone et d’autres villes.
Juin 2021 marque un revirement: Jordi Cuixart a été libéré. Le président espagnol Pedro Sánchez l’a gracié, probablement à cause de la pression de l’étranger. Le Catalan s’est vu imposer une période de probation de cinq ans ainsi qu’une interdiction d’exercer une fonction publique jusqu’en 2027.
«C’est le temps d'une nouvelle génération»
Pour lui, déménager en Suisse n’est pas une retraite politique. Mais dorénavant, il ne luttera plus qu’en deuxième ligne: «C’est le temps d'une nouvelle génération d’activistes.» Après presque quatre ans de prison, il souhaite être davantage avec sa famille.
Jordi Cuixart n’est pas le premier militant indépendantiste catalan à s’installer en Suisse. En mars 2018, Marta Rovira était venue s’installer à Genève. La secrétaire générale du parti de gauche nationaliste ERC risquait une longue peine de prison en Espagne. Elle était aussi accusée par la justice de sédition et de rébellion.
D’autres militantes indépendantistes en exil à Genève
Dans une lettre ouverte, elle avait alors écrit: «Je ne peux pas exprimer l’ampleur de la tristesse que j’éprouve à devoir laisser derrière moi tant de personnes qui m’aiment.» Pendant des semaines, l’Espagne se demandait où Marta Rovira avait pu s’enfuir. Puis elle s’était exprimée pour la première fois dans le SonntagsBlick, parlant de son exil à Genève avec sa fille Agnès: «Je dois lui donner tout ce que je peux. En prison, je ne peux pas le faire.»
Comme Marta Rovira, Anna Gabriel, militante indépendantiste, avait fui la Catalogne en 2017. En exil à Genève, elle ne s’était pas rendue à son interrogatoire en 2018 à Madrid. Le gouvernement avait donc signalé un mandat d’arrestation. L’indépendantiste catalane s’est finalement rendue aux autorités espagnoles de son plein gré durant le mois de juillet dernier. Dans l'attente d’une citation à comparaître, elle est libérée sous caution. La Catalane risque jusqu’à 30 ans de prison, selon les précisions apportées par le journal «Le Temps».
En attendant, la crise catalane continue de bouillonner. Et si la libération de Jordi Cuixart et de ses compagnons de lutte avait (un peu) calmé la situation, le conflit n’est de loin pas résolu.
(Adaptation par Mathilde Jaccard)