C'est une inquiétante impression de déjà-vu: le gouvernement serbe a rassemblé des troupes le long de la frontière kosovare avec de l'artillerie, des chars et de la défense anti-aérienne vendredi, avant de les retirer sous la pression des Etats-Unis. Des images que l'on a déjà vues début 2022 à la frontière russe avec l'Ukraine. Le récit du Premier ministre Aleksandar Vucic ressemble également à celui de Moscou. Tout comme l'Ukraine est russe pour Vladimir Poutine, le Kosovo appartient aux Serbes, en particulier le nord du pays. Les deux dirigeants déplorent le nettoyage ethnique de leurs compatriotes dans le territoire ennemi. La Serbie oserait-elle réellement envahir son pays voisin?
Quelle est la gravité de la situation à la frontière du Kosovo?
Selon le gouvernement kosovar, des unités de l'armée serbe se sont dirigées vendredi vers les frontières nord, nord-est et est du Kosovo, équipées de systèmes de défense antiaérienne, d'artillerie et de chars. Cela indique une agression planifiée, poursuit Pristina. «C'est extrêmement dangereuse», c'est ainsi que Vedran Dzihic, politologue à l'université de Vienne, qualifie la situation pour Blick. Après la mise en garde par Washington, la Serbie a affirmé lundi avoir ramené «à la normale» le niveau de ses troupes le long de la frontière avec le Kosovo.
Y a-t-il un risque qu'une nouvelle guerre dans les Balkans se déclenche?
L'expert Vedran Dzihic ne le croit pas. «Une invasion du Kosovo signifierait une guerre ouverte avec l'OTAN», explique ce Bosniaque d'origine. La Serbie est entourée de pays membres de l'OTAN. «Ce serait un suicide politique», poursuit l'analyste. En outre, le pays dépend économiquement de l'Occident. «60 à 70% des investissements directs viennent de l'étranger.» Aleksandar Vucic devrait alors pratiquer une politique de balancier pour plaire à tout le monde, à l'Occident, à la Russie et à la Chine.
Comment l'Occident réagit-il à la menace militaire?
Les ministères américain et allemand des Affaires étrangères ont immédiatement exigé le retrait des troupes. L'OTAN renforce les forces de maintien de la paix de la Kfor – une troupe armée multinationale mise en œuvre par l'OTAN dans le Kosovo – et la Grande-Bretagne envoie 600 soldats au Kosovo. Ce qui a poussé le Premier ministre serbe à rappeler une partie de son armée. Selon Vedran Dzihic, le fait qu'Aleksandar Vucic prenne les avertissements occidentaux plus au sérieux que Vladimir Poutine s'explique par la dépendance de la Serbie vis-à-vis de l'Occident. La menace de l'Occident a fait son effet.
Comment en est-on arrivé à cette escalade?
Le conflit s'envenime depuis des mois. Les disputes autour des plaques d'immatriculation kosovares pour les habitants serbes, les règles d'entrée renforcées par le Kosovo pour les Serbes et la nomination de maires albanais dans les communes à majorité serbe du nord du Kosovo ont provoqué des troubles entre les ethnies dans la zone frontalière. La violence a culminé le 25 septembre 2023 dans une attaque paramilitaire lourdement armée contre des policiers kosovars, au cours de laquelle un fonctionnaire a trouvé la mort.
Qui est derrière ces attaques?
«Rien ne peut se faire sans l'accord du gouvernement ou des services secrets serbes», explique Vedran Dzihic. L'attaque contre les policiers aurait été commanditée depuis Belgrade. Elle a été organisée par le millionnaire Milan Radoicic. Le chef de la milice, qui a été en partie formée par le groupe Wagner, a publiquement endossé l'entière responsabilité. Mais il n'y a pas eu d'emprisonnement du «Prigojine serbe» en Serbie.
Quel est le rôle de Poutine dans le conflit?
«L'influence de Vladimir Poutine en Serbie est grande. Les Serbes suivent les médias russes, les journaux serbes reprennent la propagande du dirigeant russe», explique Vedran Dzihic. Et celle-ci vise à perturber les relations avec l'Occident. La Russie serait bien plus appréciée en Serbie que l'Occident, «le taux de sympathie est de 70%». Vladimir Poutine serait en réalité le seul à profiter d'une nouvelle guerre dans les Balkans.
Quel est donc le but de la Serbie?
Aleksandar Vucic ne prévoit pas de guerre. Le président serbe se bat plutôt contre des problèmes politiques dans son propre pays, poursuit Vedran Dizhic. «Aleksandar Vucic utilise le conflit avec le Kosovo comme un fumigène, par exemple pour détourner l'attention des protestations massives de l'opposition.»