À l'occasion du Black Friday qui se déroule chaque année en novembre, nous avons republié cet article paru initialement en novembre 2023.
Le jour de Black Friday est un parcours du combattant. D’abord, parce qu’il requiert de plonger dans une foule compacte, puis de s’en extirper sans suffoquer. Ensuite, parce que nos achats flambants neufs nous narguent depuis leurs sacs en plastique: «Tu as craqué!», ricanent-ils, fiers de leur coup. Résultat des courses: on finit épuisé, douloureusement tiraillé entre satisfaction et honte.
Comment ne pas culpabiliser, alors que la planète étouffe? «Le Black Friday, en tant qu'objet sociologique, représente la quintessence de l'injonction à changer, notamment face à l'urgence sociale et écologique, ou à l'impossibilité de questionner en profondeur nos modes de vie, la place des entreprises, des objets et des services de l'hyper-consommation», analyse Fanny Parise, anthropologue spécialiste de l'évolution des modes de vie et de la consommation à l’Université de Lausanne.
Pourquoi se sent-on si coupables?
En effet, pour l’autrice de «No Carbon» (Éd. Payot), cette journée s’inscrit dans l’imaginaire du siècle dernier, quand le fait d’acquérir de nouveaux objets était perçu comme un signe de progrès: «Et cela malgré un discours dominant qui nous amène vers l'éco-responsabilité et la déconsommation! La société veut changer, sans se transformer - et ce n'est pas forcément possible.»
Rappelons que de nombreuses personnes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser ces rabais pour s'acheter des outils ou appareils indispensables, alors que l’inflation et la hausse des prix limitent leur budget: «Je ne suis pas pour culpabiliser le consommateur, tempère Fanny Parise. L'idée est d’identifier les bonnes raisons qui nous conduisent à se plonger dans le Black Friday, malgré toutes les tensions sociétales ou écologiques associées à ce phénomène.»
Pour éviter de se noyer dans ce sentiment de culpabilité et y puiser de bonnes résolutions, voici 5 réflexions encourageant un rapport plus sain et plus équilibré à nos achats.
La tentation est rendue presque irrésistible
D’après la psychologue FSP Betty Jereczek, il est normal que notre volonté menace de s'émietter devant une offre aussi flamboyante que le Black Friday. N’oublions pas que, durant le reste de l’année, chacun d’entre nous cède régulièrement aux mêmes types de tentations: «Qui n’est jamais passé devant une boulangerie pour s’acheter un croissant, plutôt que de manger la clémentine qui repose dans le sac? questionne-t-elle. Les entreprises ont bien compris ce mécanisme et l’utilisent pour créer des stratégies, en jouant sur nos émotions. Tout est fait pour qu’on passe à la caisse.»
Se faire plaisir n'est pas un crime
Avant de dégainer la carte de crédit pour financer un panier aussi plein qu'un œuf, on peut commencer par se demander si nos achats découlent d’un réel besoin. Il arrive évidemment que ces rabais nous permettent de remplacer des biens nécessaires, tels qu’un appareil électroménager, ou encore d’exaucer un souhait de longue date.
«Si vous avez attendu le Black Friday pendant deux mois pour vous offrir un cadeau et que celui-ci vous remplit de joie, il n’y a pas de problème, nous rassure Betty Jereczek. Même si vous n’en avez pas besoin pour survivre, le fait de se procurer du bonheur et du confort n’est pas un crime. On a aussi le droit de se ficher la paix, de temps à autre.»
Pour notre experte, un achat raisonnable se reconnaît à l’émotion agréable qui perdure, même des semaines après l’acquisition: «Cela suggère qu’il s’agissait d’un choix froid, non régi par l’émotion.»
Nos achats sont parfois régis par nos émotions
En effet, certains achats sont d’autant plus irrésistibles qu’ils répondent à un besoin émotionnel: «On achète des choses pour se donner l’illusion d’être en sécurité, d’avoir ce qu’il nous faut et d’être complet, explique la psychologue. Cette stratégie d’évitement s’observe notamment dans le contexte d’achats compulsifs ou même d’addiction au jeu: on cherche à combler un vide auquel on n'ose pas se confronter.»
Notre experte y perçoit une stratégie de coping, permettant aux personnes concernées d’apaiser leurs ressentis ou de maintenir une impression de contrôle: «On constate souvent un lien entre les achats émotionnels et l’éducation, explique Betty Jereczek. Lorsqu’on grandit avec des parents qui ont nié nos besoins, il devient difficile, par la suite, d’identifier nos besoins en tant qu’adulte. On ferme la porte aux émotions, on ne parvient plus à faire des choix. On n’a pas reçu les clés, enfant, pour faire autrement.»
Tant que le phénomène reste mesuré et ne crée pas de soucis financiers, pas de panique! Cette habitude peut se déraciner avec le temps, quelques efforts et, si besoin, l'aide d'un thérapeute: «Chacun fait de son mieux, encourage notre intervenante. La première étape pour dissoudre ce réflexe est d'en prendre conscience - et c’est déjà un pas énorme. On peut aussi en discuter avec nos proches, afin de se rendre compte que tout le monde fait des achats émotionnels, de temps en temps.»
Le sentiment de culpabilité peut être constructif
Seconde étape: mener une réflexion plus poussée lors de la prochaine virée shopping. Dans ce sens, un peu de culpabilité peut même s’avérer très utile: «Cette émotion n'est généralement pas trop difficile à gérer et souligne un comportement qui ne s’aligne pas sur nos valeurs, pointe l'experte. Il s’agit d’une stratégie mise en place par le cerveau pour réparer une “erreur”, afin qu’on puisse se réajuster.» En d’autres termes, la prochaine fois qu’une vitrine nous fera les yeux doux, l'écho de la culpabilité nous rappellera de prendre deux grandes inspirations avant de se ruer dans la boutique.
Il convient cependant de distinguer la culpabilité de la honte, une émotion bien plus pernicieuse: «Quand on se sent coupable, on se dit qu’on n’a pas fait ce qu’il faut. Quand on a honte, on se dit qu’on n’est pas ce qu’il faut, prévient Betty Jereczek. On finit par se dévaloriser, par se convaincre qu’on est une mauvaise personne.»
Pour endiguer cette spirale, notre experte rappelle que la honte est l’émotion la plus difficile à affronter: «Son exploration exige une grande vulnérabilité. De nouveau, pour la gérer, il convient d’en prendre conscience, tenter d’analyser ce qu’il se passe en nous et partager l’émotion dans un environnement sûr.» Or, lorsque celle-ci impacte notre qualité de vie, il est important de demander de l’aide professionnelle.
Tout ne repose pas sur vos épaules
Bien que l'urgence climatique requière évidemment des changements concrets et la mise en place nouvelles habitudes de consommation, Betty Jereczek rappelle que nous avons le droit, parfois, d'abandonner un peu le perfectionnisme, renforcé par la culpabilisation générale qui caractérise notre époque: «Nos choix quotidiens n’ont pas le même poids que des décisions gouvernementales et toute la pression de l’avenir climatique ne doit pas reposer sur nos seules épaules, à tout moment», conclut-elle S’ils restent occasionnels, nos achats plaisir ne sont donc pas une raison de s'autoflageller durant toute l'année.
Alors, lorsqu’on zigzaguera entre les rayons bondés, peut-être que la voix familière d'une certaine Marie Kondo résonnera dans notre tête, afin de nous prémunir du sentiment de culpabilité: «Ai-je vraiment besoin de cet objet? Me réchauffe-t-il le cœur?» Souvent, la réponse est non. Au fond de notre poche, le porte-monnaie ronronne.