Que des tailles 32
Pourquoi la mode ne se défait toujours pas du culte de la minceur

Alors que la Fashion Week de Paris s’achève, le mouvement body positive ne semble toujours pas percer dans la mode. La faute à quelques contraintes industrielles mais surtout aux professionnels du secteur qui n’évoluent pas.
Publié: 03.10.2023 à 17:38 heures
Photo: KEYSTONE
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«La mode se démode, le style jamais», affirmait en son temps Coco Chanel. Lors de la dernière Fashion Week de Paris, qui s’achève ce mardi 3 octobre, la tendance était aux sandales à talon portées avec des chaussettes à l’intérieur. Accessoires que l’on ne verra peut-être plus l’année prochaine. En revanche, certaines choses ne se démodent en effet jamais, comme la proportion de mannequins très minces, voire maigres, sur les podiums.

Les chiffres récemment publiés par «Vogue Business» viennent confirmer l’impression laissée sur les rétines. Plus de 9’130 tenues ont été présentées lors de 219 défilés pour les collections automne-hiver 2023-2024. Seulement 0,6% d’entre elles étaient portées par des mannequins grande taille (c’est-à-dire présentant une taille 44 ou plus). L’écrasante majorité (95,6%) étaient sur le dos de mannequins taille 32 à 36. Le reste (3,8%) étaient en taille médium (entre le 38 et le 42). Seulement 17 marques ont inclus au moins une création grande taille. Et dans la plupart des gros défilés, même les mannequins medium étaient tout juste au-dessus de la petite taille. 

Des mannequins plus size…

Une preuve que le monde de la mode n’a toujours pas réussi à se défaire du culte de la maigreur qui le traverse depuis toujours. Pourtant, voilà plusieurs années que des voix et des corps s’élèvent pour faire changer les choses. Le succès de mannequins «plus size», comme Ashley Graham, qui explose en faisant la couverture de «Sports Illustrated» en 2016, ou l’Américano-suisse Paloma Elsesser, laissent penser à l’époque que le mouvement «body positive» peut infuser le milieu de la haute-couture. Qu’il y a, même sur les podiums, de la place pour toutes les formes.

Des chartes sont même adoptées par les marques en ce sens. En 2017, les géants du luxe LVMH (qui regroupe des marques comme Vuitton, Dior, Givenchy ou Céline) et Kering (Gucci, Yves Saint-Laurent, Balenciaga…) en signent une pour s’engager à ne plus employer de mannequins trop maigres (taille inférieure à 34), ni âgés de moins de 16 ans. La charte prévoit également l’obligation de posséder un certificat médical pour attester de la bonne santé des modèles. 

… qui n’ont finalement rien changé

Mais dans les faits, rien n’a véritablement bousculé une industrie si habituée à la maigreur. D’autant que les chartes n’engagent que ceux qui y croient et qu’il est très facile de fabriquer un 34 si petit qu’il taille comme un 32. Maud Le Fort, mannequin française, a renoncé à la Fashion Week de Paris après des années à scruter son corps de (trop) près. «On me mesurait quasiment tous les jours», racontait à la dernière Fashion Week de Milan celle qui faisait une taille 36 et était classée dans les modèles «curvy», avec des formes. À l’époque où elle travaillait à Paris, «plus je perdais de poids, plus je recevais de félicitations», témoigne-t-elle. 

Maud Le Fort a finalement abandonné après avoir atteint 49 kilos pour 1,81 m. «Un jour, j’ai dit stop. Je vais manger, je vais faire du sport.» Elle a aussi entamé une thérapie et des cours de théâtre pour changer profondément son rapport à son corps. Aujourd’hui, elle privilégie les séances photo aux défilés. Et regrette, chaque fois qu’elle voit un cliché d’elle retouché, que cela «flingue les jeunes filles qui vont [la] regarder» car «cela crée une image complètement inatteignable».

Des marques avec des standards de beauté «ringards»

Comment expliquer que la mode soit restée imperméable aux mouvements «body positive», de plus en plus visibles notamment grâce aux réseaux sociaux? Pour la Britannique Felicity Hayward, influenceuse et mannequin taille XXL, cela tient d’abord à l’immobilisme des grandes maisons de couture. «Les personnes qui y sont haut placées ont une idée de la beauté et de ce qui est esthétiquement plaisant pour leur marque. Et elles n’en changent pas», explique-t-elle dans le podcast «Should I Delete This Podcast?». «Il y a eu beaucoup de changement, on voit bien sûr des marques inclusives, mais c’est la jeune génération. Les grandes maisons ont toujours des standards de beauté ringards.»

Katie Sturino, influenceuse mode américaine, ne dit pas autre chose sur son compte Instagram. «Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est que l’industrie de la mode est revenue là où elle a toujours voulu revenir: à des corps extrêmement minces. Cela montre d’abord que l’inclusivité exhibée [il y a quelques années] sur les podiums était en fait une performance. Ensuite, c’est une preuve que les tentatives des marques de développer leur gamme plus size ont échoué.»

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Des contraintes de coût et de savoir-faire

Car les contraintes sont aussi industrielles. Il est techniquement plus difficile de produire des vêtements ajustés de tailles différentes. «La technique de notation par taille signifie que vous commencez avec une taille zéro et que vous progressez à l’aide d’un algorithme», explique Paolo Volonté, enseignant en sociologie de la mode à Milan. Mais la graisse et les muscles n’obéissant pas à l’algorithme, cela «ne fonctionne pas pour les grandes tailles».

Produire plus grand demande donc un coût et un savoir-faire que n’ont pas toutes les maisons de couture. Un argument balayé par Felicity Hayward, qui rappelle que «les plus grandes marques ont de l’argent» et restent pourtant les mauvais élèves de l’inclusivité, quand de jeunes créateurs et créatrices font des efforts bien plus importants. Ceux-ci font d’ailleurs face à d’autres difficultés que celle du financement. Felicity Hayward raconte sa rencontre avec une jeune femme, encore en école de stylisme aux États-Unis, qui aimerait produire des vêtements de plus grande taille. Mais elle n’a à sa disposition, au sein de son établissement, que des petits mannequins. «Tout l’équipement fourni est à la même échelle… minuscule», pointe l’influenceuse.

Les tiraillements que connaît l’industrie de la mode ont récemment été dévoilés au grand jour à l’occasion du MetGala. Ce grand bal caritatif, organisé à New-York, est le rendez-vous de toutes les stars et de tous les stylistes, puisqu’il y a chaque année un thème et un sens du style à respecter. L’édition 2023 fut un hommage à Karl Lagerfeld, décédé en 2019. Le «kaiser de la mode», pendant longtemps chez Chanel, était incontestablement un génie dans son domaine. C’était aussi un homme qui pensait que «personne ne veut voir des femmes rondes dans la mode». Le MetGala s’était attiré les foudres de certaines personnalités et avait été boycotté par Model Alliance, une association américaine d’aide et de soutien aux mannequins.

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