C’est une pratique très à la mode en Amérique du Nord, prônée autant par certains influenceurs fitness que par des diététiciens, et qui gagne peu à peu l’Europe: le jeûne intermittent. Soit le fait d’alterner des moments où on se nourrit et d’autres où on arrête de manger. Un remède miracle pour perdre du poids, moins contraignant qu’un régime, voilà qui ne présenterait que des avantages.
Mais un communiqué de l’AHA, la plus grande association américaine de cardiologues, a fait l’effet d’une bombe: selon elle, les personnes qui pratiquent le jeûne intermittent présenteraient un risque de mortalité cardiovasculaire accrû de 91%. Autrement dit, ils auraient quasiment deux fois plus de risque de mourir que les personnes qui mangent matin, midi et soir.
Un chiffre affolant qui a fait bondir une autre partie de la communauté scientifique. Trente-quatre chercheurs spécialistes du sujet ont d’ailleurs répondu à l’AHA dans une lettre collective appelant à la prudence. On fait le point avec Tinh-Hai Collet, médecin adjoint agrégé à l’Unité de nutrition des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et signataire de cette lettre.
Qu’est-ce que le jeûne intermittent exactement?
Pour comprendre, il faut revenir à la base. Alterner des périodes de jeûne et des périodes où on mange, nous le faisons (a priori) tous, puisque personne ne mange en dormant par exemple. Le jeûne intermittent consiste à sanctuariser des plages horaires sans prise alimentaire. «Le plus classique, qu’on appelle le TRE (pour «time restricted-eating» consiste à jeûner pendant 16 heures et manger pendant 8 heures», détaille Tinh-Hai Collet. «Il semble le plus facile à appliquer au quotidien puisque cela revient à sauter un repas: soit le petit-déjeuner, soit le repas du soir. Et on devrait boire des boissons qui ne contiennent pas de calories pendant le jeûne.»
D’autres variantes consistent à jeûner un jour sur deux ou deux jours sur cinq (consécutifs ou non). «Une version plus ‘soft’ consiste à remplacer le jeûne par une restriction calorique», soit une prise de 500 à 800 calories par jour au lieu des besoins quotidiens (d’environ 1’500 à 2’000 calories selon les personnes).
À quoi ça sert?
Mais pourquoi se lancer dans le jeûne intermittent? «C’est une façon complémentaire de perdre du poids», explique notre médecin. Qui rappelle que les régimes traditionnels peuvent être source de «souffrance ou frustration» pour les personnes qui les suivent. «Quand vous les écoutez, elles vous disent souvent qu’elles ont tout essayé et que c’est très difficile parce qu’elles y pensent toute la journée. Avec un jeûne intermittent, pour une fois, il s’agit moins de se concentrer sur ce qu’il y a dans l’assiette que sur l’heure à laquelle on le mange.»
Pour Tinh-Hai Collet, le jeûne intermittent est une méthode efficace «mais pas miraculeuse non plus». «Les gens arrivent à perdre en moyenne entre trois et cinq kilos, et j’ai quelques exemples de patients qui ont perdu bien plus.» L’autre bénéfice est indirect: «quand on perd du poids, on améliore sa pression artérielle. Certaines études montreraient que cela pourrait aussi faire baisser les taux de sucre.»
Il semble enfin y avoir «une amélioration au niveau digestif». «Quelques patients me disent avoir un transit plus régulier, moins de ballonnements», complète le médecin. Ces observations doivent encore être consolidées par une vaste étude en cours aux HUG, où l’on recrute les derniers sujets. Les résultats sont attendus pour la fin de l’année.
Quel est le lien entre jeûne intermittent et mortalité cardiovasculaire?
Mais l’AHA, elle, en a déjà publié certains. Dans un communiqué largement repris par différents médias anglo-saxons, elle alerte sur les risques du TRE, le jeûne intermittent classique consistant à sauter un repas pour passer 16 heures sans manger. Pour ce faire, elle utilise les résultats préliminaires d’une étude menée par des chercheurs chinois sur la base de données américaines. Et ceux-ci sont alarmants: chez les personnes qui pratiquent le TRE, le risque de mortalité cardiovasculaire à long terme augmente de 91%.
Avec ses 33 confrères et consœurs, Tinh-Hai Collet appelle à la plus grande prudence. «Il est important que l’information scientifique circule mais ce sont des résultats préliminaires avec des biais importants», affirme-t-il. Le processus scientifique habituel consiste à vérifier d’abord ces résultats préliminaires, puis à les faire valider par ses pairs, ce que l’on appelle dans le jargon «peer-review», étape nécessaire pour la publication scientifique. «En l’état actuel, cela ne passerait pas cette étape», tranche le médecin.
Pourquoi l’étude citée par l’AHA pose problème?
Car l’étude a été menée non pas sur des personnes qui pratiquent le jeûne intermittent sur le long terme, mais sur la base des habitudes alimentaires déclarées par les patients sur les 24 dernières heures. «Comment prédire une mortalité pour les dix ans à venir sur la base de ce que vous avez mangé hier?» s’interroge Tinh-Hai Collet.
En outre, les chercheurs n’ont pas pris en compte le fait qu’il y ait plus de fumeurs dans le groupe observé par rapport au groupe témoin. «Or, la première chose à laquelle on pense quand on évoque les problèmes cardiovasculaires, c’est le tabac», souligne notre médecin. «On pense aussi au diabète ou à l’hypertension, et on ne sait pas non si l’étude a tenu compte de ces deux facteurs.»
Enfin, les personnes afro-américaines sont surreprésentées dans le groupe examiné par l’étude, alors qu’on sait que, pour des raisons notamment économiques et sociales, elles sont aussi plus nombreuses à présenter certaines maladies comme le diabète ou l’hypertension.
Existe-t-il des risques avec le jeûne intermittent?
Tinh-Hai Collet n’écarte pas pour autant d’un revers de main tout risque potentiel avec le jeûne intermittent. D’abord, on lui a rapporté des malaises. «Je soupçonne que ce soit plutôt dans le contexte d’une déshydratation», analyse-t-il. «Lorsqu’on mange, on consomme indirectement de l’eau qui nous hydrate. Avec le jeûne intermittent, il y a un risque de restreindre son hydratation sans s’en rendre compte.»
Si certains patients constatent une amélioration au niveau digestif, ce n’est pas le cas de tous. D’autres peuvent présenter des troubles du transit, même s’ils ont tendance à se manifester au début puis à disparaître.
Surtout, Tinh-Hai Collet recommande d’en parler avec son médecin afin de se lancer, quitte à faire un bilan de la pression artérielle, de poids et sanguin avant d’entamer un jeûne intermittent. «Je ne le conseillerais pas à des personnes qui présentent des troubles du comportement alimentaire, ou une dénutrition, au risque de les aggraver. Idem pour des patients qui prendraient déjà des médicaments contre l’hypertension ou le diabète.» Prudence donc, mais pas de panique concernant un risque accru de mortalité cardiovasculaire. «Rien ne nous fait penser qu’on va dans cette direction.»