Les hobbies sont devenus un luxe, dans un monde de plus en plus cher. D’après notre sondage mené en collaboration avec M.I.S Trend, 56% des Romandes et Romands doivent réduire le budget consacré aux loisirs pour gérer la hausse des prix qui menace de les suffoquer. Cinéma, shopping, apéritifs et brunchs sont relégués au second plan, obligeant certaines personnes à abandonner des activités qui leur apportaient pourtant de précieuses étincelles de joie.
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Le phénomène soulève beaucoup de questions, notamment quant à nos sources de satisfaction: pourquoi ces plaisirs onéreux créent-ils des feux d’artifice dans notre cerveau?
«Les personnes qui ne trouvent pas de sens dans leur métier se tournent souvent vers certains loisirs pour justifier et compenser les efforts qu’elles fournissent durant la semaine, constate Jennifer Picci, psychologue du travail FSP. Leur emploi ne les nourrit pas vraiment, donc elles choisissent des expériences intenses qui leur donnent l'impression de profiter à fond de la vie et peuvent leur amener un certain statut, dans la mesure où elles apportent une forme de visibilité et de crédibilité, lorsqu'on les partage sur les réseaux sociaux, par exemple.»
En effet, l'experte souligne que les plaisirs payants ou luxueux autorisent, dans certains contextes, à montrer qu'on a réussi, qu'on s'en sort bien et qu'on a atteint un certain niveau: «Le fait d'y renoncer peut donner le sentiment d'admettre une forme d'échec et d'infériorité par rapport à qui on était auparavant.»
Addicts aux récompenses
Dans tous ces cas de figure, les loisirs matériels suscitent une forme fugace de bien-être. Or, ce bien-être est tellement éphémère qu’on en voudra rapidement une nouvelle dose, une fois que s’évanouissent les premiers crépitements d'euphorie. Pour notre intervenante, il peut s’agir d’une forme d’évitement, voire d'addiction: «Les loisirs matériels représentent une échappatoire, dans la mesure où ils nous permettent parfois de fuir quelque chose. Quand ils disparaissent, on se retrouve face à nous-mêmes, à nos émotions, et le cerveau ne comprend pas où est passée son habituelle dose de gratification immédiate.»
Avouons que l’abandon de ce qui constitue notre revanche sur un quotidien accablé par le stress semble à la fois douloureux et frustrant: «Qui a envie de remplacer le shopping, le cinéma, le restaurant ou les boîtes de nuit par de la méditation ou des promenades? admet la psychologue. Cela paraît très injuste, puisqu'on associe généralement ces loisirs à une récompense méritée. Sans oublier que d’autres personnes continueront à s'offrir les plaisirs qu’on ne peut plus se permettre.»
Les limites du bonheur matériel
Mais qu’en est-il des loisirs gratuits, ces instants de grâce dont la simplicité gommerait presque la magie? Bien qu’ils ne suscitent pas le même pic de joie intense, ils fournissent une autre sorte de bonheur: «On ne peut satisfaire via des biens matériels quelque chose qu’on doit satisfaire de l’intérieur, affirme Jennifer Picci. Cela ne signifie pas qu’un brunch avec des amis ou un nouveau manteau ne sont pas réjouissants, mais ce type d’expérience ne suffit pas réellement. L’échange social, la nouveauté et l’importance qu’on y accorde ont souvent plus de valeur réelle que la quantité matérielle.»
Prenons l'exemple d'un pique-nique ou d'un footing au bord du lac avec des amis: ces moments de vie peuvent nous rendre aussi joyeux qu'une séance de cinéma, par exemple, même s'il s'agit d'une joie plus sereine et profonde.
En effet, des études américaines ont démontré que rien ne nourrit davantage notre âme que la qualité de nos relations: «Quand on s’entend bien avec une personne, on n’a pas besoin de se trouver dans un lieu chic ou une destination de rêve pour passer un moment génial, explique notre experte. Par contre, si le lien s’est construit autour de passions matérielles, la relation n’aura plus la même qualité lorsque cette base aura disparu.» La connexion personnelle dépasse donc le cadre.
Retrouver ce qui compte
Notons que ces réflexions concernent les biens matériels non essentiels et s’appliquent aux personnes dont les finances permettent un certain confort de base: «On aura toujours des besoins matériels, bien sûr, mais le fait de s’en détacher un peu nous autorise à nous aligner sur l'essentiel, précise Jennifer Picci. Avant d’atteindre ce point, il faut toutefois renouer avec ce qui compte réellement pour nous et interroger l’utilité que nous tirons des loisirs matériels.»
En se tournant vers des activités gratuites méditatives telles que la sophrologie, le dessin ou le yoga, on se retrouve face à nous-mêmes, forcés de reconnaître ce que nos plaisirs matériels nous permettent de fuir: «La prise de conscience qui s’ensuit est parfois désagréable, mais nous amène à poser certaines limites, si besoin, afin de retrouver du sens», poursuit la psychologue.
En effet, pour notre experte, la joie intense et volatile que peuvent apporter les loisirs matériels se distingue du véritable bonheur qui, lui, est plus stable et puissant: «La satisfaction qu’on puise dans des activités gratuites est auto-générée et ne dépend pas de facteurs extérieurs. Et là, il se passe des choses incroyables! On peut retrouver davantage de sens et, à partir de là, refuser de le perdre à nouveau.» Ce phénomène est notamment incarné par la GenZ, qui préconise les emplois à temps partiel et met en œuvre des stratégies créatives pour augmenter ses revenus.
Redevenir des enfants
Voilà qui rappelle l’enthousiasme pur des enfants, capables de s’extasier devant un bâton de bois, d'inventer des histoires et de jouer dehors pendant des heures. Quel est donc leur secret? «Les enfants ont toujours accès à leur imagination, répond Jennifer Picci. Ils s’autorisent à jouer, car ils ne sont pas encore empêtrés dans les responsabilités et les peurs! Les adultes ont perdu cette faculté puisqu’on leur répète sans cesse qu’il faut être sérieux, que le jeu est inutile, improductif…»
Ce point nous ramène à la réflexion initiale: «C’est pour cela que les adultes recherchent des expériences intenses et coûteuses! Quand on leur propose d’entrer dans leur monde imaginaire en faisant une méditation, ils ne trouvent pas cela intéressant.»
Aurait-on décrédibilisé les rêves parce qu’ils ne sont pas suffisamment productifs? Dans cette réflexion palpite peut-être la promesse du véritable bonheur. On vous laisse méditer.