Jörg Büchel, aumônier à l'hôpital
«J’aime parler de ce qui est personnel, analyser ce qui fait mal»

Il est à l'écoute des malades. Jörg Büchel, 62 ans, est aumônier depuis près de 30 ans. Il officie aujourd'hui à l'hôpital de Coire. Comment supporte-t-il la souffrance des autres? Quelle aide peut-il leur apporter? Rencontre.
Publié: 03.01.2023 à 13:38 heures
1/6
Jörg Büchel, 62 ans, est le plus ancien aumônier de l'hôpital de Coire. Il est à l'écoute des patients depuis une dizaine d'années.
Photo: Philippe Rossier
kinheitsgerichte4_Mitarbeieter_34.JPG
Alexandra Fitz

Jörg Büchel arpente dans les couloirs de l’Hôpital cantonal des Grisons en saluant toutes les personnes qu’il croise. Comme Urs, qui, chaque semaine, passe une demi-journée devant les ascenseurs pour guider les patients et les visiteurs. «C’est un bénévole, comme de nombreuses autres personnes ici», nous souffle l’aumônier. «Bonjour Urs, tu es de retour. Comment vas-tu?», interroge-t-il. Urs lui raconte avoir été malade, et ses difficultés. Jörg Büchel l’écoute avec attention. Puis il prend la parole: «Et maintenant, tu es là. C’est beau.»

Jörg Büchel, la manière dont vous abordez les patients et parvenez à entamer une conversation est admirable...
Il faut savoir faire la causette, sinon ce n’est pas possible. Mais ne pas aller au-delà du small talk, c'est terrible. C’est ce qui me peine.

Mon cousin est décédé récemment. Dans ses dernières semaines, il a beaucoup parlé à l’aumônier de l’hôpital, bien qu’il ait quitté l’Eglise depuis longtemps.
Certaines personnes ont des réserves et pensent que nous, les aumôniers, allons tout de suite parler de religion. Mais pas forcément. C’est le patient qui choisit les thèmes de la discussion. Nous écoutons et prenons en compte ce qu’il amène. Nous posons des questions, mais l’écoute est bien plus importante.

Pouvons-nous encore écouter pour de bon?
Aujourd’hui, tout va très vite et doit servir un objectif précis. Les aumôniers sont les derniers fous qui peuvent simplement être là et prendre le temps d’écouter. Nous n’avons pas de cahier des charges à compléter chaque jour, ce n’est pas possible avec ce travail. Nous ne documentons rien non plus.

En auriez-vous le droit?
Je note pour moi deux mots-clés pour me souvenir de ce dont nous avons parlé. Mais lorsque le patient quitte l’hôpital, je détruis ces feuilles. Rien n’est conservé. L’important, c’est l’instant présent.

La discussion est interrompue. L’aumônier doit aller chercher une patiente. Rita doit régulièrement venir recevoir des soins à l’hôpital. Jörg Büchel va la chercher en bas, à la cafétéria, et l’emmène à l’accueil. Rita souffre d’une démence et vit dans une maison de retraite. Pour elle, les visites à l’hôpital sont comme un retour à la maison. La femme âgée s’accroche au bras de l’aumônier. Tous deux bavardent comme de vieux amis. Rita complimente l’aumônier. «Tu ne dois pas toujours être aussi sérieux!», s’exclame-t-elle, puis sourit: «Est-ce que j’ai encore dit des bêtises?» Jörg Büchel aide Rita à s’asseoir sur le lit, lui enlève ses chaussures avant de la confier au personnel soignant et de lui promettre qu’il reviendra la chercher. Un tel service est plutôt une exception pour lui. Au fil du temps, une bonne relation s’est développée entre les deux.

Comment travaillez-vous?
Je vais de chambre en chambre. Et je demande simplement si je peux entrer. Je n’ai pas de plan.

Rendez-vous également visite à quelqu’un qui s’est cassé un pied?
Peut-être que ce patient a des problèmes de couple. On ne discute pas seulement des raisons pour lesquels le patient est à l’hôpital. Il y a d’autres problèmes dans la vie. Nous sommes là pour eux, selon leurs besoins. C’est la différence avec le médecin ou le thérapeute. Nous sommes ouverts et ne procédons pas de manière ciblée. La première chose à faire est d’établir un lien de confiance. C’est le moment le plus délicat.

Comment faites-vous?
Je demande d’abord comment vont les patients et s’ils sont satisfaits de la prise en charge. J’apprends à connaître les patients qu’à travers ce qu’ils me racontent. Je ne connais pas le dossier. Parfois, j’assiste à l’entretien avec le médecin et j’aide à comprendre et à ordonner les informations.

Les médecins n’expliquent-ils pas assez bien ou le temps leur manque-t-il?
Les médecins le font désormais très bien. Mais oui, ils ont parfois peu de temps à disposition, et souvent les grandes interrogations des patients viennent après coup.

Y a-t-il une question qui préoccupe particulièrement les patients?
Oui, le tabou du suicide. De nombreux patients souhaitent en parler. Lorsqu’ils soulèvent le sujet avec un médecin ou le personnel soignant, tous voyants s’allument. Ce n’est pas ce qu’ils souhaitent. Ils remarquent que je peux gérer cela. Le plus souvent, les patients veulent simplement exprimer le fait qu’ils sont à la limite de ce qu’ils peuvent supporter. Il ne s’agit pas seulement de la douleur, mais surtout de devenir aussi dépendant des autres et la crainte d’être une charge supplémentaire.

Vous parlez d’euthanasie?
Oui. Pour moi, il est important que nous apprenions, en tant que société, que c’est un sujet – et une option – qui intéresse de nombreuses personnes.

Qui s’intéresse principalement à cette question?
En général, les personnes âgées qui, malgré la médecine, n’ont plus beaucoup d’espoir. Elles veulent avoir des options, pouvoir choisir. C’est difficile si elles ont l’impression d’être soumises à des bons sentiments. Les soins palliatifs sont une autre option que beaucoup de gens ne connaissent pas.

L’aumônier souhaite aller voir un patient à qui il a déjà rendu visite la veille. Un cas particulier: ce septuagénaire est physiquement en bonne santé. Mais il souffre d’un état de confusion aiguë. Jörg Büchel frappe et entre dans la chambre. L’homme est assis à table, un cahier de mots croisés devant lui. Il est désespéré, il veut en finir. «Vous voulez mourir, mais ça ne suffit pas», glisse calmement l’aumônier. Le patient se prend la tête entre ses mains: «Tout est si confus. Je ne mérite pas ça.» L’homme raconte tout ce qu’il a accompli, l’importance de son travail, le modèle de sa voiture. Il parle de sa réussite matérielle. Jörg Büchel l’interrompt: «Mais le plus important, c’est votre femme!» L’homme s’anime: «Oh oui, elle est formidable.» La conversation se poursuit. Comment se manifestent les états de confusion? Ne préférerait-il pas se promener à l’extérieur? Pourquoi ne peut-il pas rester chez lui? Il y a beaucoup d’informations, mais l’aumônier parvient à garder le fil. La question du diagnostic n’est pas abordée. Le téléphone sonne. «C’est ma fille, glisse le patient. Merci d’être passé!»

Rendez-vous visite à certains patients sur le long terme?
Souvent, une seule visite suffit. Nous sommes là avant que les proches ne soient mobilisés et se rendent à l’hôpital. Mais si besoin est, nous restons en contact. Actuellement, je rends souvent visite à une patiente. Elle vient de l’est de l’Ukraine, où elle a été blessée. À travers les médias, elle apprend que sa ville natale est bombardée. C’est terrible. Elle se demande où elle ira après.

Comment gérez-vous le fait d’entendre autant de souffrance jour après jour?
Ce sont les soucis des autres, pas les miens. Quand je suis moi-même concerné par des problèmes, je souffre aussi. Je peux faire preuve d’empathie avec les autres, mais je ne peux pas emporter leur souffrance. Je dois être à nouveau libre pour le prochain patient. En outre, j’ai le don de l’oubli. (rires)

Quand atteignez-vous vos limites?
Lorsque des jeunes commettent des tentatives de suicide. J’ai pris en charge deux personnes qui se sont jetées sous un train et ont perdu leurs deux jambes. Ou lorsque des enfants sont victimes d’accidents. Cela me touche de près. Il n’y a pas de mots pour décrire la douleur d’un parent. Faire face à cette souffrance est épuisant.

Jörg Büchel est sans cesse arrêté dans les couloirs de l’institution. On comprend mieux pourquoi un aumônier ne prend jamais de rendez-vous. Un homme l’aborde. Il a des pansements sur le dos de la main. Il a eu une infection, mais aujourd’hui, il peut enfin rentrer chez lui. L’aumônier et le patient se sont vus pour la première fois la semaine dernière lors d’une cérémonie commémorative pour les parents dont l’enfant s’est suicidé. L’aumônier menait l’office. L’autre était présent pour rendre hommage à son fils de 16 ans, qui s’est ôté la vie. Aujourd’hui, ils échangent, debout. Les médecins, le personnel soignant et les patients défilent. Jörg Büchel prend le temps d’écouter ce père éploré. Il n’a jamais l’air pressé. Lorsque les mots se sont taris, il remercie son interlocuteur avant de s’éloigner.

Vous êtes confronté jours après jours à des sujets difficiles, cela semble intense. Pourquoi êtes-vous devenu aumônier?
Je ne sais rien faire d’autre (rires). J’avais beaucoup de problèmes quand j’étais jeune. J’ai dû faire de l’introspection. Le monde intérieur de l’homme, c’est mon monde. Il y a beaucoup de richesse – et aussi beaucoup de souffrance. Je n’ai jamais aspiré à des choses matérielles, je ne peux même pas conduire une voiture. Cela ne m’intéresse tout simplement pas. J’aime aller là où c’est personnel, là où ça fait mal et là où il peut y avoir du changement.

L’aumônier retourne chercher Rita. La senior rayonne lorsqu’elle l’aperçoit: «C’est super que tu viennes me chercher!» Rita s’accroche à nouveau à son bras. Tranquillement, le couple se dirige vers la sortie.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la