«Dans une perspective de médecine du travail, nous ne pouvons pas éviter de réfléchir à la sieste.» Les mots sont de Christine Marty, médecin du travail de la Suva, la plus grande assurance-accidents de Suisse. Ils ont été prononcés en juillet dernier, dans les colonnes du «Tages-Anzeiger» et ont fait le tour des médias. Il faut dire qu’en Suisse, comme dans le reste de l’Europe à l’exception du pourtour méditerranéen— on y reviendra– la sieste n’a pas bonne presse. Piquer un petit somme dans l’après-midi est un truc de fainéant, tout simplement.
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En l’occurrence, si Christine Marty est montée au créneau, c’est parce qu’il lui paraît indispensable d’adapter l’organisation du travail aux canicules de plus en plus fréquentes et sévères en Suisse. Le nombre de jours de fortes chaleurs y a triplé en soixante ans, ce qui a, pour certains métiers comme la construction, de graves conséquences. Accomplir dehors un travail pénible par plus de 30° présente un vrai risque pour la santé. Mais indépendamment de ce cas spécifique, réhabiliter la sieste dans le monde professionnel pourrait être bénéfique à tout le monde.
La NASA penche pour la sieste
C’est déjà ce que disait la NASA, l’agence publique aérospatiale américaine, en 1995. À l’époque, elle diligente une étude auprès des pilotes de ligne. Résultat: ceux qui dorment 26 minutes voient leur productivité augmenter de 34% et leur vigilance de 24% par rapport à ceux qui négligent la sieste.
Des chercheurs d’Harvard ont confirmé ces conclusions dans les années 2010 en faisant faire des exercices à deux cohortes de volontaires, qui devaient fixer un écran et répondre à des questions sur leur perception visuelle. Ceux qui ont fait une sieste ont gardé des performances similaires, voire meilleures, tout au long du test. Ceux qui n’ont pas dormi du tout étaient moins bons à la fin qu’au début.
En 2011, ce sont des chercheurs du centre hospitalier universitaire vaudois, à Lausanne, qui ont livré leurs résultats. Ils n’ont pas analysé la productivité des patients après une sieste, mais l’impact de celle-ci sur la santé, notamment les maladies cardiovasculaires. «Les sujets qui font la sieste une à deux fois par semaine ont un risque moindre d’accident cardiovasculaire», concluent-ils. Autrement dit, la sieste est bonne pour tout: la productivité, l’attention et la santé.
L’Espagne ou la Chine font de la résistance
C’est à se demander pourquoi elle n’est pas populaire. En réalité, il n’en a pas toujours été ainsi. On trouve des mentions de la sieste dès l’Antiquité et l’habitude a perduré, notamment chez les populations rurales, pendant des siècles. C’est, selon les historiens, la révolution industrielle qui est venue sonner la fin des roupillons en journée.
Le travail en usine et les nouvelles organisations ultra-productivistes s’accompagnent d’une invention certes géniale, mais qui perturbe le sommeil: l’éclairage électrique. Plus besoin de suivre le cycle du soleil, fini la sieste, tout le monde est sur le pont toute la journée avant de s’effondrer d’une traite la nuit… en tout cas dans certains pays.
Car d’autres font de la résistance. Impossible de ne pas citer l’Espagne, où la sieste est une institution (mais progressivement remise en cause ces dernières années). En Chine, c’est même un droit inscrit dans la Constitution depuis les années 1940. Le «shui wu jiao», littéralement «sommeil de midi» est sacré après le repas de midi.
Merci les start-ups
L’avènement de la culture start-up aux États-Unis a légèrement modifié la perception de la sieste. Parce que le management de ces petites entreprises se veut plus cool, on l’a acceptée plus facilement. Ce n’est pas qu’une question de bonne volonté des employeurs: s’ils ont bien suivi les résultats de la NASA, alors ils savent qu’eux aussi ont tout à gagner de ces petits sommes en open space puisque leurs salariés n’en seront que plus productifs.
De grands noms ont aussi contribué à faire bouger un peu les mentalités. Sans forcément remonter à Napoléon Bonaparte, grand adepte de la sieste, Hillary Clinton ou Barack Obama admettaient publiquement faire un petit somme dès que possible.
L’art d’une bonne sieste
Reste à savoir quand et comment faire la sieste. Pour la première question, la réponse est communément admise: c’est entre 13h et 15h que le corps montre des signes de fatigue. Évitez donc de vous effondrer à 19h, cela pourrait perturber votre sommeil de la nuit. En revanche, depuis la fameuse étude de la NASA, les avis divergent sur la durée de la sieste.
À l’époque, l’agence aérospatiale parlait de 26 minutes. Certains préfèrent miser sur plus court, entre 10 et 20 minutes, à la manière de Salvador Dali qui s’endormait en tenant une cuillère au-dessus d’une casserole. Dès que le sommeil du peintre devenait trop profond, la cuillère tombait sur la casserole et le réveillait.
L’université d’Oxford a tenté de trancher en février dernier avec une nouvelle étude. Celle-ci établit que les siestes de 30 minutes sont les meilleures, puisqu’elles permettent d’améliorer l’humeur, la vigilance et les capacités cognitives. Plus courtes ou plus longues, jusqu’à 60 minutes, il n’y a pas d’effet visible sur les capacités cognitives. Entre 30 et 60 minutes, on observe une «inertie du sommeil», autrement dit une tendance à avoir la tête dans le pâté. Mais le problème se résout de lui-même au bout d’une trentaine de minutes après le réveil.
Dernier conseil de la NASA au passage: mieux vaut s’adonner à la sieste de façon proactive, dès les premiers signes de fatigue. Si vous dodelinez de la tête, c’est que vous êtes déjà à moitié endormi… Sur ce, je vous laisse, je vais faire une petite sieste.