«Je passe un super été», ironisait la professeure de yoga Alexandra Rosenfeld, épouse du journaliste français Hugo Clément, sur son compte Instagram. Prenant la pose au cours du mois d'août, appuyée sur une large béquille et portant des bas de contention, la créatrice de contenu révélait avoir souffert d'une thrombose veineuse liée au syndrome de May-Thurner (ou syndrome de Cockett). Aujourd'hui, elle va beaucoup mieux, bien que le moindre pas lui inflige toujours d'intenses douleurs.
La plupart de ses abonnés n'avaient probablement encore jamais entendu parler de cette maladie très méconnue. Elle est pourtant beaucoup moins rare que le flou qui l'entoure nous encourage à penser: une recherche américaine réalisée en 2018 estime en effet que le syndrome touche environ 1 personne sur 5, soit entre 22 et 24% de la population.
«Ce syndrome est tellement sous-estimé et sous-diagnostiqué qu’on ne connait pas sa réelle prévalence, nous expliquait le Dr Marco Fresa, médecin cadre associé au Service d'angiologie du CHUV, dans un précédent article consacré aux symptômes principaux. De nombreuses patientes en souffrent sans qu’un diagnostic ne soit posé.» Provoquée par une compression de la veine iliaque et pouvant susciter d’intenses douleurs dans la région pelvienne, la maladie concerne surtout les jeunes femmes et peut, entre autres, favoriser le développement de thromboses, soit des caillots de sang potentiellement dangereux présents dans les jambes.
Au CHUV, une consultation coordonnée par le Service d’angiologie et conjointe avec le Service de gynécologie soigne les personnes concernées et tente de sensibiliser la population et les médecins à l'existence de cette maladie. Les spécialistes observent en effet deux cas de figure typiques: «On identifie souvent la maladie après une longue errance médicale, ou alors en urgence, quand les patientes présentent une complication liée à une thrombose veineuse», précisait le Dr Fresa, dans le même article.
Deux Romandes, impactées par chacune de ces deux situations, ont accepté de nous partager leur expérience:
Mélanie, 21 ans:«Ma jambe était si gonflée que je ne pouvais plus la bouger»
À 21 ans, l'idée d'être transporté au CHUV à bord d'un hélicoptère semble complètement impensable. C'est pourtant ce qu'a enduré Mélanie, jeune assistante en santé et soins communautaires, il y a seulement quelques mois. La voix enjouée, empreinte de soulagement et de gratitude, elle nous a raconté l'épisode éprouvant qui aurait pu lui coûter la vie:
«C’était un dimanche soir, j’ai commencé à ressentir des douleurs dans le bas-ventre, se souvient la jeune femme. Je pensais que mes règles allaient commencer, donc je ne me suis pas posé de questions. Quand les douleurs se sont intensifiées et étendues à ma jambe gauche, je suis allée consulter aux urgences, où l'on m’a diagnostiqué une thrombose veineuse profonde.»
Renvoyée chez elle avec un médicament, la jeune femme constate avec effroi que l'état de sa jambe empire rapidement: «Mon pied gauche commençait à devenir bleu et ma jambe gonflait tellement qu'on ne distinguait plus mon genou. Là, les médecins ont compris qu’il y avait un problème: ma jambe était si gonflée que je ne pouvais plus la bouger.»
Aucune douleur précurseure
Résidant à Neuchâtel, Mélanie doit être immédiatement transportée au Centre hospitalier universitaire vaudois, où l'attendent des spécialistes des troubles veineux, prêts à l'opérer au plus vite: «J’essaie toujours de voir le bon côté des choses, alors j’ai tenté de me focaliser sur le fait que c’était mon baptême d’hélicoptère, partage-t-elle. J’ai pleuré, bien sûr, et j’ai eu peur, mais je pense que je n’ai pas eu le temps de réaliser que ma vie était en danger, que j’aurais pu perdre ma jambe.»
Une fois au bloc, les spécialistes découvrent que plusieurs caillots obstruent les veines de Mélanie, probablement depuis un certain temps déjà: «Les médecins m’ont répété que j’étais un mystère pour eux, car, généralement, les thromboses impliquent quand même des symptômes caractéristiques. Moi, je n’ai rien ressenti pendant des semaines!»
S'ensuivent plusieurs opérations et dix jours d'hospitalisation, durant lesquels on lui diagnostique le syndrome de May-Thurner: «J’ai beau travailler dans un domaine médical, je n’avais encore jamais entendu parler de cette maladie, souligne la Romande. Mes proches non plus! C’est complètement inconnu.»
«Je me rends compte que j'ai reçu du temps bonus»
Tirée d'affaire, Mélanie se porte bien, est capable de marcher sans béquilles depuis un mois, a reçu l'autorisation de sauter ou de courir à sa guise, et peut reprendre une activité sportive: «J’ai été très bien entourée et surtout bien encadrée. L’équipe soignante du CHUV m’a beaucoup aidée à garder le moral, je les en remercie grandement. Même maintenant, je sais que les médecins qui m’ont soignée sont joignables, que je peux les contacter pour poser des questions.»
Aujourd'hui, la jeune femme prend toujours des anticoagulants et porte des bas de contention pour favoriser le retour veineux. «Mais c'est tout! se réjouit-elle. Sinon, j’ai repris une vie normale. Mon corps a bien supporté les opérations, sans doute grâce à mon jeune âge. Je me rends compte que j’ai reçu du temps bonus, je suis pleine de reconnaissance.»
Patricia, 53 ans:«On me disait que ma douleur était psychologique»
Le second récit, très différent, témoigne de la longue incertitude que subissent de nombreuses femmes, alors qu'elles cherchent désespérément la cause de leur souffrance: «Mes douleurs ont débuté en 2011, suite à une troisième grossesse, raconte Patricia. Je ressentais des douleurs sourdes au bas-ventre, qui s'apaisaient un peu en position couchée, ainsi que des douleurs intenses à la vessie accompagnées d'un besoin d'uriner constamment. L'inconfort était permanent et les symptômes, souvent invalidants, m'empêchaient parfois de sortir de chez moi.»
Ignorant de quel mal elle souffrait, errant dans le flou total, la Romande sent son moral chuter drastiquement. Durant près d'une décennie, elle est contrainte de subir, de traverser chaque jour en serrant les dents: «Cela m'a plongée dans un état dépressif, déplore-t-elle. Ma gynécologue de l'époque me disait que les douleurs étaient dans la tête, elle m'a proposé de consulter un psychologue et de faire du yoga. J'ai reçu des traitements antibiotiques, des injections dans la vessie qui n'ont bien sûr servi à rien puisque le problème était ailleurs.»
«Aujourd'hui, je ne ressens plus aucune douleur!»
En 2022, n'y tenant plus, Patricia se résout à changer de gynécologue. La nouvelle médecin, suspectant un problème veineux, adresse sa patiente au département d'angiologie du CHUV, où des spécialistes découvrent les varices pelviennes caractéristiques du syndrome de May-Thurner. Après une première opération, des tests supplémentaires sont réalisés: «Je ressentais toujours de fortes douleurs au ventre et, en réalisant une échographie, le spécialiste s'est aperçu que ma veine iliaque ne faisait pas son travail, modifiant la trajectoire naturelle du sang, qui alimentait ainsi mes varices pelviennes».
Patricia subit alors une seconde opération, durant laquelle le spécialiste confirme que sa veine iliaque ne peut fournir que 10% de son travail. Pour apaiser la situation, un stent («de 7cm de long et 12mm de diamètre», précise la Romande) est déposé à l'intérieur de la veine, pour favoriser le flux sanguin et assurer que celui-ci s'écoule dans le bon sens. Le résultat est sans appel: «Actuellement, je ne ressens plus aucune douleur», conclut la Romande de 53 ans.