Le post-partum reste un grand mystère. Pourquoi certaines femmes souffrent-elles de dépression et/ou d’anxiété après leur accouchement et pas d’autres? Est-il possible de véritablement soigner cet état, voire de le prévenir? Jusqu’ici, les chercheurs se sont plutôt tournés vers la piste hormonale pour expliquer cette affection.
Mais plusieurs travaux viennent lancer d’autres hypothèses. «De plus en plus d’études pointent vers des anomalies du système immunitaire qui contribuent à la maladie mentale du post-partum», écrivent trois professeures de l’université de l’Ohio dans une synthèse publiée dans la revue médicale «Front Glob Womens Health».
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Environ 85% des mères passent par ce qu’on appelle communément le «baby blues», cet état déprimé mais transitoire (pas plus de 2 semaines), tandis qu’entre 10 et 20% d’entre elles connaissent une dépression ou une angoisse post-partum. La différence? Des symptômes plus sévères et une durée bien plus longue, de plusieurs mois, voire plus d’un an dans certains cas. Mais quel peut donc être le rapport avec le système immunitaire?
Le système immunitaire fluctue pendant la grossesse
Pendant la grossesse, celui-ci se transforme. «Les changements immunitaires sont parmi les plus importants et servent, en gros, à tolérer un visiteur dans votre corps pendant neuf mois», résume Kathryn Lenz, l’une des autrices de la synthèse, auprès du «Washington Post».
Pendant que l’embryon s’implante dans l’utérus, le système immunitaire permet par exemple d’assurer la restructuration des tissus. Par la suite, il va s’attacher à protéger le fœtus et, au moment de l’accouchement, c’est encore le système immunitaire qui va participer à provoquer des contractions et l’expulsion du bébé et du placenta.
Si l’on résume, c’est un acteur central au moment de la grossesse qui marche sur une ligne de crête: il faut à la fois prévenir toute agression extérieure… mais pas non plus identifier le futur bébé comme un corps étranger à expulser tout de suite. Après l’accouchement, le système immunitaire est censé se «réinitialiser» pour reprendre son fonctionnement normal.
Les femmes en dépression ont un système immunitaire différent
Mais en effectuant des analyses sur des femmes récemment devenues mères, dont certaines souffrant de dépression post-partum (DPP), les scientifiques ont découvert que c’était loin d’être le cas. Plusieurs études ont vu une corrélation entre la DPP et la cytokine, une substance sécrétée par le système immunitaire. Il y en avait plus dans le sang des femmes souffrantes que dans celui de celles qui ne présentaient pas de symptômes de dépression post-partum. Idem avec la protéine C réactive, autre indice dans le corps d’une réponse immunitaire.
L’année dernière, une équipe américaine s’est concentrée sur les lymphocytes B, impliqués encore une fois dans le système immunitaire. Et elle en a conclu que ceux des femmes en DPP étaient différents de ceux des autres. Enfin, une autre étude a, quant à elle, montré que les lymphocytes T, que l’on appelle aussi les globules blancs, n’étaient pas revenus à leur niveau initial après la grossesse chez les femmes déprimées.
«On ne peut pas affirmer qu’il y a plus ou moins d’inflammation [chez les femmes souffrant de DPP]», explique au «Washington Post» Lauren Osborne, qui a mené cette dernière recherche. «En revanche, il y a une sorte de dérégulation généralisée.»
Les effets du stress
Et comme si ce n’était pas déjà suffisamment complexe, une autre donnée entre dans l’équation: celle du stress. En 2019, nos chercheuses de l’Université de l’Ohio ont mené une étude sur des rats. Elles ont exposé certaines rates enceintes à un stress chronique (des situations qui ne les ont pas mises en danger mais étaient imprévisibles) en laissant les autres tranquilles. Résultat: les rates stressées ont vu augmenter le niveau et l’activité de leur microglie, des cellules immunitaires du système nerveux. Après la mise bas, ces rates-là ont présenté moins de lien avec leurs bébés et des symptômes… de dépression.
À l’inverse, les rates qui n’avaient pas été soumises au stress ont vu leur taux de microglie diminuer, ce qui a eu pour effet de réguler leur humeur et de développer leur instinct maternel. Les chercheuses ont même artificiellement baissé l’activité et le nombre de microglie chez certaines bêtes… qui se sont alors mises à s’occuper de bébés rats qui n’étaient même pas les leurs!
L’influence du stress est importante car cela pourrait expliquer pourquoi les parents qui ne portent pas les enfants (les pères ou les compagnes de femmes lesbiennes) sont aussi parfois atteints de dépression post-partum.
Vers un dépistage et une guérison?
Toutes ces études et ces tests demandent encore à être affinés et complétés. Mais ils sont cruciaux car au-delà même de participer à la meilleure compréhension du post-partum, ils pourraient permettre de le diagnostiquer avec précision, voire de l’anticiper et de le soigner. Pourrait-on par exemple, en faisant des analyses sanguines à la toute fin de la grossesse, repérer des taux élevés de cytokine chez une femme, donc un risque de DPP, et organiser une meilleure prise en charge? Si des causalités sont prouvées, on pourrait également imaginer le développement de médicaments.
En août dernier, l’agence américaine du médicament a autorisé la mise sur le marché du Zuzurvae, une pilule destinée à soigner la dépression post-partum. Une petite révolution, nuancée par Antje Heck, médecin et spécialiste des médicaments liés à la grossesse et l'allaitement. «Derrière cet engouement se cache la thèse selon laquelle la dépression post-partum serait une simple conséquence du changement hormonal après la grossesse», rappelait la spécialiste à Blick. «Or c'est faux, ce type de dépression a une origine multifactorielle.» Et les études sur le système immunitaire viennent le confirmer.