Les gens qui dansent et le bourdonnement des basses font partie de la marque de fabrique d’Ibiza. Mais dans le nord de l’île espagnole des Baléares, la vie est bien plus calme. Ici, les grands rassemblements et le bruit de la musique cèdent la place à d’épaisses pinèdes et au joyeux gazouillis des oiseaux.
Avec son frère Tino, le Suisse Peter Lehner possède un petit domaine dans le nord d’Ibiza, où ils vinifient leur propre vin depuis le millésime 2017. «Ibiza est la première destination étrangère que j’ai visitée avec ma femme, en 1986, mais à l’époque, nous voulions surtout faire la fête», se souvient-il. L’île lui a tellement plu qu’il y est souvent revenu.
Les feux de forêt, une opportunité inattendue
«Quelques années plus tard, mon frère Tino a acheté un bout de terrain dans le nord de l’île, dont nous sommes désormais tous deux propriétaires. Il abrite une maison blanchie à la chaux, typique de la région – l’endroit parfait pour des vacances reposantes.» En 2011, les deux frères traversent toutefois une épreuve difficile, lorsqu’un incendie ravage un tiers de la forêt du nord de l’île, y compris la pinède de leur domaine.
«Autour de la maison, tout était noir, carbonisé: le spectacle était désolant. En nous promenant sur le terrain, nous avons alors découvert plusieurs terrasses soutenues par des murs de pierres. Nous les avons nettoyées avec beaucoup de soin et restaurées intégralement», explique fièrement le vigneron. Dès lors, que faire de toutes ces parcelles terrassées?
Une analyse révèle que le sol se prête parfaitement à la culture de la vigne. Une heureuse coïncidence, car les frères Lehner sont de fervents amateurs de vin: «Étant Valaisans, nous avons un penchant naturel pour les bons vins de la vallée du Rhône, notamment du Valais ou de la région française de Châteauneuf-du-Pape.»
Inspirés des moutons à nez noir du Valais
Peu de temps après, les frères Lehner plantent leurs premiers pieds de vigne. «Nous avons commencé par de la syrah et du mourvèdre, auxquels sont venus s’ajouter plus tard du cabernet sauvignon et du giro ros, une variété de raisin blanc.» Le grenache noir venant d’être autorisé par les autorités locales, cette variété du Rhône sera peut-être aussi bientôt plantée sur les terres des frères Lehner.
Baptisé Blacknose, le vin d’Ibiza des Lehner porte le nom des célèbres moutons à nez noir du Valais. La production annuelle de ce vin rouge riche et raffiné se limite à quelques milliers de bouteilles. Les millésimes testés – 2018, 2019 et 2020 – se caractérisent par un bel extrait de fruits mûrs, des saveurs épicées, des tanins souples et beaucoup de fraîcheur, une qualité déterminante pour des vins titrant à 15°.
Le domaine compte actuellement 2,5 ha de vignes ainsi qu’un hectare d’oliviers. «À 320 m d’altitude, notre vignoble est le plus élevé de toute l’île.» L’altitude apporte une fraîcheur nocturne qui contribue à préserver l’acide tartrique des raisins.
À la table voisine: Will Smith
Lorsqu’on lui demande s’il a rencontré des célébrités depuis qu’il vit à Ibiza, il commence par se taire, par discrétion. «Bon d’accord, je vous donne un nom. Il y a quelques années, je dînais en famille dans un restaurant. À la table voisine, une autre famille, celle de Will Smith, acteur américain oscarisé.»
Mais Will Smith n’a pas dégusté le Blacknose des Lehner, car il n’existait pas encore à l’époque. Aujourd’hui, ce ne serait pas du tout impossible, car ce précieux nectar figure sur la carte de certains restaurants et hôtels de l’île. «Nous exportons aussi une petite partie vers l’Allemagne et l’Angleterre ainsi que vers la Suisse, notre pays natal, où notre famille est propriétaire de l’hôtel Alpenclub, à Engelberg. Bien entendu, notre Blacknose figure également sur la carte des vins de l’hôtel.»
Pour terminer l’interview, je demande au vigneron, qui vit un tiers de l’année à Ibiza, quelle est la meilleure période pour visiter les Baléares: «Mes saisons préférées sont le printemps et l’automne, quand il y a moins de touristes sur l’île. Le mois de janvier est aussi un bon moment, lorsque les amandiers sont en fleurs. Cette année, en février, nous avons même eu droit à la magie de l’hiver grâce à quelques chutes de neige.»