Il raconte une bataille vieille de 20 ans
Ce vigneron vaudois raconte le harcèlement des producteurs de champagne

Il y a vingt ans, les accords bilatéraux I ont marqué la fin de l'appellation suisse «Vin de Champagne». Eric Schopfer, vigneron de la région, raconte la bataille entre les producteurs de champagne français et l'irréductible village vaudois.
Publié: 14.08.2024 à 19:29 heures
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Eric Schopfer produit deux mousseux sous l’étiquette «Champagnoux» dans le village de Champagne (Vaud). Non sans irriter le géant français des fines bulles.
Photo: Ursula Geiger
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Ursula Geiger

Le classeur fédéral qu’Eric Schopfer pose sur la table n’est pas plein à craquer, mais il renferme deux lettres envoyées en recommandé en 2020 et 2023 par un cabinet d’avocats suisse (le nom est connu de la rédaction) qui ne manquent pas de piquant. Elles contiennent une déclaration de renonciation à signer et à retourner dans un délai d’un mois.

Le vigneron destinataire devait s’engager à renoncer à l’utilisation du nom d’entreprise «Champagnoux» et à retirer de la circulation les vins blancs, rouges et mousseux commercialisés sous ce nom. D’autant plus que l’enregistrement de la marque «Champagnoux» lui aurait été refusé en 2007 pour des boissons alcooliques autres que la bière. Seulement, pour le vigneron, il n’en est pas question.

Le nom du village irrite l’association des producteurs de champagne

Le vigneron apparaît détendu, lorsqu'il verse son mousseux rosé primé dans les verres et se met à raconter son histoire, qui ne manque pourtant pas de rebondissements. Tout a commencé en 2002, dans le petit village vaudois de Champagne, qui abrite une poignée de viticulteurs cultivant du raisin vinifié par la coopérative du village voisin.

Mais le fait que ces villageois étiquettent leur vin blanc sous l’appellation «Vin de Champagne» restait en travers de la gorge des gardiens du temple des fines bulles françaises. Cette «concurrence» au cœur de l’Europe géographique était apparemment indue.

L'entrée en vigueur des Accords bilatéraux I entre l’UE et la Confédération a finalement enterré l'appellation suisse «Champagne» et les bouteilles portant ce nom ont dû être retirées de la vente. «L’interdiction venait à peine d’être rendue publique que notre village était assiégé par la presse. Les journalistes voulaient savoir où se trouvaient les caves et les bouteilles dans le village. Mais il n’y avait rien à voir ou presque. Les viticulteurs livraient leurs raisins à la coopérative», explique Eric Schopfer.

«Où sont les caves à Champagne?»

Aussitôt après l'interdiction, les vignerons de la région ont rebaptisé leur vin avec l'appellation «Libre-Champ». Il y avait, à n’en pas douter, une part de bravade dans cette réaction, de même que l’assurance de l’emporter au baromètre de la sympathie. Quoi qu’il en soit, notre électrotechnicien a porté la surface du petit vignoble familial à 3,1 hectares, quitté la coopérative et créé le domaine Champagnoux en 2005, en reprenant le nom historique des habitants du village. Le blason du hameau – trois champignons, qui ne manquent pas d’évoquer des bouchons de champagne lorsque l’on connaît l’histoire – orne également les étiquettes de ses vins.

Pourquoi la Confédération a visiblement approuvé l’interdiction

Eric Schopfer en est convaincu: en échange de l'interdiction de l'appelation, la Confédération aurait obtenu des droits de vol accordés à l’ex-compagnie Swissair dans les aéroports européens. À l’époque, un avion de la flotte avait même été baptisé au nom du village, en dédommagement. Et, cerise sur le gâteau, Swissair avait invité les villageois à voler dans cette machine pour un vol touristique au départ de Genève.

Interrogée à ce sujet, Swiss a livré les informations suivantes: un A319-112 baptisé «Commune de Champagne» a été en service chez Swissair du 12 mai 1999 au 31 mars 2002. Cet avion a été intégré chez Swiss à la fin du mois de mars, date à laquelle il a pris le nom de «Piz Morteratsch». L’appareil ne fait plus partie de la flotte Swiss depuis 2013. Swiss n’est pas en mesure de communiquer sur les noms d’avion et les vols spéciaux de la feue Swissair.

David contre Goliath

Entre-temps, l’entreprise de l’insurgé a été rebaptisée «Vins Schopfer» et seuls ses vins sont vendus sous l’étiquette «Champagnoux». Le terrain et les bâtiments sont ainsi protégés si les gardiens de la marque «Champagne» ne lâchent pas prise et l’assignent en justice. «La Suisse importe chaque année 6,3 millions de bouteilles de champagne. Je vends un peu plus de 3000 bouteilles de mousseux par an», résume Eric Schopfer.

Eric Schopfer envisage l'avenir en toute sérénité: «Je ne me casse pas la tête, je continue à produire mes vins Champagnoux. Et si cela ne leur convient pas, j’écrirai «1424 Champagne» sur mes étiquettes: on ne peut quand même pas interdire un numéro postal d’acheminement et un nom de commune!»

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