On en a tous fait l'expérience un jour avec un plat ou une sauce pimentée: ça pique la langue, non le palais, correction, toute la bouche, ça chauffe, c'est l'enfer, appelez une ambulance. Pourtant la moutarde - même pendant la pénurie actuelle - nous arrache la tronche de manière bien différente: elle pique la bouche et nous titille le nez. Et pourquoi le poivre pique-t-il le bout de la langue? Bref le piquant nous joue des tours.
Le piquant? On ne devrait pas en parler, parce que «le piquant n'existe pas», m'a averti lors d'un entretien le physico-chimiste français spécialiste du goût, Hervé This. Il faudrait selon lui plutôt parler des piquants, car plusieurs molécules peuvent déclencher des réactions sensorielles différentes.
Le coup de chaud du piment
Le piment, le poivre, la moutarde: ces trois usual suspects ont en commun de nous exploser la bouche en excitant le nerf trijumeau. C'est un nerf crânien dont les terminaisons sont responsables de nombreuses perceptions sensorielles (douleur, chaud, froid, etc.) dans la langue, le palais, la mâchoire, les lèvres, les gencives et les fosses nasales. Chacun de ces trois condiments agit sur ce nerf, mais sévit avec des armes du crime qui lui sont propres.
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Le piquant et le coup de chaud du piment reposent sur la capsaïcine, un alcaloïde qui active des récepteurs du nerf trijumeau normalement activés lorsque la température dans la bouche dépasse 44°C, ce qui explique la sensation de chaleur consécutive à son ingestion. Le piquant du piment provient quant à lui de la libération subséquente de molécules dites nociceptives, responsables de la douleur.
Les récepteurs en question s'appellent TRPV1 et il s'agit pour l'anecdote de récepteurs aux vanilloïdes, des composés qu'on trouve notamment… dans la vanille – qui en principe ne pique pas, elle (mais la capsaïcine est bien un vanilloïde). Vous suivez? On trouve ces récepteurs en nombre dans le pharynx, à l'arrière de la bouche, ce qui explique pourquoi les piments brûlent plutôt à cet endroit.
Le bourre-pif de la moutarde
Et la moutarde? Elle attaque avec une autre molécule, l’isothiocyanate d’allyle. C'est elle qui pique dans un premier temps en stimulant le récepteur TRPA1, un autre récepteur du nerf trijumeau. Ce n'est qu'après quelques secondes que la moutarde monte au nez, façon deuxième effet Kiss Cool.
Ce décalage temporel s'explique chimiquement: puisque l'action se déroule dans le nez, il est question de gaz et non de solides. Il faut un peu de temps à la molécule pour se volatiliser dans la bouche et gagner les fosses rétro-nasales, où se trouvent les récepteurs olfactifs, tout à l'arrière de la bouche. C'est alors que le nerf trijumeau est stimulé.
À noter que les neurones trigéminaux en question «ne sont pas des récepteurs spécifiques de la molécule, mais des récepteurs du toucher», peut-on lire sur le site Zeste de savoir qui consacre un article documenté sur le sujet. Autrement dit, c'est à ces récepteurs tactiles que l'on doit cette sensation d'une chatouille (si la moutarde pique peu), voire d'un bourre-pif (si celle-ci est vraiment trop forte).
La moutarde n'est pas le seul aliment contenant de l'isothiocyanate d'allyle: on en trouve en quantité dans les radis ou certaines herbes corsées telles que le cresson, la roquette, et également dans le poivre. Sans oublier le raifort et le wasabi, qui s'invitent également dans nos narines. Le récepteur TRPA1 est d'ailleurs parfois appelé le wasabi receptor dans la langue de Boris Johnson.
Enfin, profitons-en pour tordre le cou à un mythe: non, les piquants n'empêchent pas de ressentir les saveurs, au contraire! De récentes études ont prouvé que la capsaïcine augmente la sensibilité du goût. Ce que les Aztèques avaient compris bien avant nous en ajoutant un peu de piment pour assaisonner le xocoatl («chocoatl»), boisson cacaotée ancêtre de notre lait au chocolat.