Son patron l'assure
«Le Guide Michelin est totalement indépendant»

Blick a pu obtenir une entrevue avec Gwendal Poullenec, le directeur international du Guide Michelin. Le faiseur d'étoiles revient sur le palmarès suisse 2022, dévoilé lundi à Lausanne.
Publié: 18.10.2022 à 16:18 heures
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Dernière mise à jour: 19.10.2022 à 11:23 heures
Le Guide rouge fait la pluie et le beau temps sur la gastronomie depuis 1900.
Photo: MICHELIN
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Il ne participe pas à toutes les cérémonies, mais celle-ci, il tenait à y être. Directeur international du Guide Michelin, Gwendal Poullenec revient sur la scène gastronomique suisse après deux ans de pandémie, la méthodologie du Guide, et les interrogations à propos de son indépendance.

Alors, elle est comment cette cuvée suisse du Michelin?
Je le dis franchement, c'est une sélection historique pour la Suisse, et ce aussi bien en termes de qualité - obtenir une étoile signifie que vous êtes une des meilleures tables de la localité, du pays et du monde - que de quantité avec 36 nouvelles étoiles, plus 11 nouvelles étoiles vertes. Les inspecteurs ont été véritablement impressionnés. Cela prouve que la scène culinaire suisse est extraordinaire, que le pays est une destination gastronomique qui rayonne. Il y a 138 restaurants trois-étoiles dans le monde, dont 4 ici!

Vous n'aviez pu tenir de cérémonie l'an dernier, pour cause de pandémie. Comment vous êtes-vous adapté à cette crise?
La pandémie a eu un impact sur tout le monde, y compris pour Michelin. Il y a eu un énorme engagement de nos équipes, qui ont dû s'adapter aux règles sanitaires mises en place dans les pays, et travailler au rythme des ouvertures et fermetures des frontières et des restaurants. Ce n'était pas facile, car ils voyagent énormément! Ils ont dû mettre les bouchées doubles au sens propre du terme, mais c'était indispensable, car il fallait que Michelin reste capable de publier ses sélections. Force est de constater que la pandémie n'a pas fait baisser le talent des chefs. Au contraire: nous observons que le niveau s'est élevé. Il y a eu de manière générale un focus sur la simplicité et sur les produits. Les chefs ont eu du temps pour réfléchir, travailler leurs recettes, leur sourcing, parfois remettre en cause certaines pratiques, notamment en termes de durabilité. Tout cela ne s'est pas fait au détriment de la qualité ni des clients, comme l'ont constaté nos inspecteurs. La Suisse en est la parfaite illustration, comme le montrent ses 36 nouvelles étoiles.

Pourquoi la Suisse dépend-elle de l'Allemagne dans votre guide? Cela veut dire que ce sont des inspecteurs allemands qui sont venus tester les restos?
La Suisse est administrativement pilotée depuis l'Allemagne. Il n'en demeure pas moins que les inspecteurs sont des experts internationaux. Il n'y a pas de prisme de nationalité dans notre méthodologie, ce qui importe, c'est la compétence dans les styles de cuisine. Nos inspecteurs voyagent partout, sur tous les continents, et ne reviennent jamais deux fois dans le même restaurant. C'est une méthode propre à Michelin qui nous permet d'être sûrs que nos recommandations sont équitables partout dans le monde, et qu'il n'y a aucun effet de biais ou de quota.

Combien d'experts ont sillonné la Suisse?
Sans donner de chiffre, je peux vous dire que des inspecteurs du monde entier sont venus évaluer les restaurants suisses. Chaque adresse a été visitée au minimum une fois, et il n'y a pas de maximum: d'autres inspecteurs s'y rendent si nécessaire, jusqu'à ce qu'on parvienne à un consensus.

Quel est leur background?
Ce sont des professionnels des métiers de la restauration: cuisiniers, serveurs, sommeliers, etc. Ils passent un certain temps accompagnés sur le terrain pour apprendre nos méthodes d'évaluation, puis une fois qu'ils sont assez expérimentés, ils voyagent seuls, et leur expertise se développe continuellement.

Comment appréhendez-vous les différences culturelles d'une région à l'autre, par exemple en Suisse où cohabitent deux cultures gastronomiques distinctes?
Il y a bien des différences culinaires en Suisse, mais c'est la même chose en France, au Japon et ailleurs. Le palmarès n'est que le reflet de ce qu'offre une scène culinaire. Notre approche est immuable depuis 120 ans. Nous évaluons l'expérience client selon cinq critères: qualité des produits, techniques de cuisine, harmonie des saveurs, personnalité du chef et enfin la régularité dans le temps. C'est une méthode universelle, il n'y a aucune considération culturelle, aucun quota.

Quelles sont aujourd'hui les sources de financement du Guide?
On peut citer les commissions de réservation en ligne dans les restaurants, le soutien de partenaires sponsors qui nous donnent les moyens d'assurer la promotion d'événements tels que celui d'aujourd'hui (ndlr: lundi à Lausanne), ou encore celui d'offices du tourisme qui contribuent à amplifier la communication sur les chefs étoilés pour en faire des atouts touristiques. Tout cela nous permet de nous développer. Jamais auparavant un directeur de Guide Michelin n'a eu autant d'inspecteurs sous sa reponsabilité: nous couvrons à présent plus de 40 pays dans le monde. Il va de soi que nous avons recruté toujours plus d'inspecteurs pour couvrir l'ensemble du périmètre

Cette multiplication des partenaires peut-elle influencer le Guide Michelin?
Le Guide Michelin est, et a toujours été, totalement indépendant dans ses choix éditoriaux. Les inspecteurs n'ont aucune relation avec les partenaires, quels qu'ils soient. C'est comme dans un grand média. Nous avons lancé le 1er Guide Michelin à Istanbul la semaine passée, je peux vous assurer que les autorités turques ont appris le classement en même temps que la presse. Les informations sont confidentielles, il n'y a aucune intervention externe, et c'est ma mission de m'assurer de la totale régularité des décisions qui sont prises collégialement par les équipes dont les membres n'ont pour seule mission que de tester environ 350 restaurants par an pour dénicher les meilleures tables et donner les meilleures recommandations.

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