On l'appelle le roi ou le pape de la raclette. Pour nous, ce sera juste Eddy, c'est-à-dire Eddy Baillifard, l'ambassadeur de l'AOP Raclette du Valais. Il nous livre ses meilleures astuces sous forme des dix commandements de la raclette, pour briller et trop manger à tous les coups.
L'AOP, tu choisiras
C'est un propos très Captain Obvious, mais ça ira mieux en le disant: une bonne raclette, c'est d'abord un bon raclette. Oui, au masculin, c'est le fromage, et au féminin le plat. Pour le fromage donc, aucun doute, «la première chose c'est de prendre du raclette AOP», prévient Eddy Baillifard.
L'AOP Raclette du Valais, c'est un autre monde, une qualité qui enterre les fromages industriels. Le cahier des charges établit de strictes contraintes à respecter obligatoirement pour prétendre à l'appellation. Le fromage doit par exemple provenir du lait de vaches nourries aux herbes des alpages valaisans.
On le fabrique exclusivement au lait cru, c'est-à-dire sans chauffage ou pasteurisation, ce qui détruirait de nombreuses bonnes bactéries, et avec elles une grande partie des saveurs. «Le lait n'a jamais le même goût selon les races de vaches, selon les alpages qui ont tous des herbes et des fleurs différentes, c'est ce qui donne cette variété de goûts uniques aux fromages. Si tu pasteurises le lait, tu perds beaucoup de saveurs, c'est pour ça que tous les fromages pasteurisés ont le même goût», détaille le roi de la raclette, qui ne recommande pas un alpage en particulier: «l'important, c'est cette variété, on est souvent surpris d'avoir des goûts aussi différents d'un fromage à l'autre».
D'ailleurs, Eddy avoue avoir parfois un pincement au cœur à faire fondre de si délicieux fromages qui se dégustent parfaitement crus. «C'est un orgasme buccal. T'as pas besoin d'autre chose.» Érotique, la raclette, qui lait cru?
Les trous, tu éviteras
Il y a tout de même une astuce de vieux briscard à appliquer pour reconnaître les meilleurs fromages: les trous. «Il ne doit pas y avoir trop de trous dans l'ouverture, car ça voudrait dire qu'il y a eu un défaut de fermentation. Moins il y a de trous, meilleur est le formage», assure le racleur. Pour s'en souvenir, il conseille de garder cet adage en tête: «Défaut de trous, défaut de goût.»
La souplesse, tu vérifieras
Une fois un bon AOP sans trou dégotté, il faut le mettre à l'épreuve. Là, c'est entre vos doigts que ça se passe: «On teste la pâte qui doit être souple, onctueuse, pas cassante. Elle doit avoir une consistance de pâte à modeler entre les doigts». C'est ce qui renseigne sur un bon équilibre entre les protéines et les lipides. C'est important, les protéines.
L'affinage, tu demanderas
L'AOP exige trois mois d'affinage du fromage, au minimum. «Mais l'idéal, c'est six à sept mois», conseille Monsieur l'ambassadeur. Comme un vin qui vieillit, le raclette continue à mûrir en cave, grâce au travail des microorganismes présents à l'intérieur. Au bout de cette période, les arômes sont alors pleinement développés. «Et là, c'est autre chose», jure Eddy.
Les fromages aromatisés, tu snoberas
Et que fait-on des fromages aromatisés, ceux à l'ail, au poivre ou aux champignons? «Pour moi qui suis un puriste, c'est non, ça fausse tout», tranche le Valaisan. Ces fioritures amènent un peu de variété, mais les bons raclettes AOP ont déjà des goûts très différents les uns des autres, alors à quoi bon ajouter du paprika ou de la truffe? «Ils n'ont de toute façon pas l'appellation», rappelle-t-il.
À la raclonette, OK tu diras
La raclonette, c'est sympa et convivial. Mais est-ce un sacrilège aux yeux de notre Valaisan virtuose du raclage? «Je ne suis pas anti-raclonette! La raclonette, c'est 80% de la consommation du Raclette du Valais AOP. Faut bien se mettre dans la tête que chaque famille n'a pas un four à raclette traditionnel à 800 balles! Et puis, c'est sympa, c'est convivial avec ces petits poêlons.» Ouf, on peut donc sortir l'appareil (et son indispensable la rallonge électrique).
La raclonette, pas trop tu chaufferas
Ce n'est pas parce qu'Eddy dit OK à la raclonette qu'il faut faire n'importe quoi pour autant: «Faut faire attention, car les fromages au lait cru n'aiment pas les chaleurs agressives des raclonettes, qui chauffent fort par-dessus et par-dessous. Si on laisse le poêlon trop longtemps sous la résistance, le gras a tendance à se séparer, et c'est le goût d'huile qui va primer. Dès que tu vois des petites bulles sur le fromage, il faut l'enlever.»
Le four à raclette, avec sa chaleur plus douce et réglable, respecte un peu plus le produit. Quant au four à bois, «ça amène les arômes des essences du bois.» En montagne, Eddy utilise un mélange de mélèze, sapin et rhododendron. En plaine, il privilégie plutôt des arbres fruitiers: pommiers, cerisier et poirier. Et parfois aussi des sarments du vigne. Mais attention, car «pour racler au feu de bois, faut être un excellent racleur, c'est un autre métier!», ajoute l'expert.
Les patates, tu ajouteras
Pour Eddy, la patate, c'est la base, «l'ingrédient indispensable» dans la raclette. Je n'ose pas lui demander ce qu'il pense de la raclette Hawai au jambon et à l'ananas, ça risque de l'énerver. Quant aux cornichons et aux oignons au vinaigre, «c'est un plus.» Sans plus, donc. Ah si: «Il paraît que ça favorise la digestion.»
Et si vous la mangez comme les Valaisans, insiste Eddy, mangez la charcuterie en entrée et attaquez la raclette ensuite. Une vile attaque contre ma nationalité française, puisqu'en Savoie et en Haute-Savoie, on adore manger patates, fromage et charcuterie, tous ensemble, pas de jaloux!
Du fendant, tu déboucheras
Pour les boissons, «ce qui va le mieux, c'est ça», désigne Eddy en faisant tinter une bouteille de fendant posée devant lui. «L'Heida va aussi très bien avec la raclette, on en sert d'ailleurs de plus en plus. Pour les vins rouges, il faut viser des vins légers, pas trop tanniques.»
Le thé, tu, euh, pourquoi pas
Quant aux boissons chaudes, elles favoriseraient la digestion en évitant de créer une boule de fromage dure dans l'estomac, mais cela tient davantage de la légende que de la véracité scientifique (même si l'on déconseille de s'envoyer une pinte d'eau en fin de repas). Peu importe, selon Eddy, puisque «le thé ou les tisanes des Alpes vont très bien avec la raclette, c'est parfait pour ceux qui ne boivent pas d'alcool.» Parfait, mais moins marrant quand même.