Au terme de 15 épisodes plus courts, mais qui finissaient finalement aussi tard que ceux des années précédentes, la quatorzième saison de «Top Chef» s'est terminée hier soir avec le couronnement d'Hugo Riboulet face à Danny Khezzar, le Genevois de l'émission.
La victoire du premier est sans appel, avec plus de 55% des votes de la centaine d'invités, tous bénévoles à la Croix-Rouge française. Cette «bataille des seconds» (Hugo est le second du Clos des Sens à Annecy, Danny était celui du Bayview à Genève avant d'en devenir le chef) semblait pourtant plus serrée que ce score le laisse supposer – sans doute la magie du montage de M6.
Sous les ors du George V à Paris, palace le plus étoilé d'Europe, Danny Khezzar n'a pas proposé que des blagues à hauts risques («la classe à Dallas», pour un artiste qui écrit des chansons, faut oser): son menu l'était également. Il en avait certes pris l'habitude dans chacune de ses apparitions lors de «La brigade cachée», sous-émission diffusée après «Top Chef» (d'où l'heure tardive de fin) et au cours de laquelle il a éliminé, en secret et les uns après les autres, chacun des sortants de l'émission principale.
Mic-mac de couleurs
S'il s'en était sorti à chaque fois (souvent in extremis), hier soir, son faux-pas en entrée lui a sans doute été fatal. Sa raviole et sa gambero rosso frite servies dans un bouillon censé changer de couleur n'a ni séduit invités comme jury, ni changé de couleur non plus d'ailleurs. Il s'est ensuite rattrapé avec son plat à base d'omble chevalier, hommage à sa Genève d'adoption, mais c'était certainement trop peu, trop tard.
Le menu d'Hugo s'est avéré plus raisonnable, mais mieux maîtrisé. Son plat principal, un gâteau de chou, a pu faire peur, et pas uniquement en imaginant l'effet dévastateur des flatulences crucifères sur l'élégante robe d'Adriana Karambeu, marraine de la Croix-Rouge. L'assiette «manquait de cohérence» a relevé la cheffe Hélkène Darroze, «le tout était inférieur à la somme des parties», a enchéri Paul Pairet. Mais cela a néanmoins suffi.
Les deux candidats ont servi des desserts chocolatés de haut vol: Danny une tarte soufflée dont la gourmandise et le jeu de texture en si peu de matière ont été loués par les chefs; Hugo un crémeux à la sarriette et baies de Timut (un cousin du poivre aux puissantes saveurs d'agrumes) dont les saveurs ont étonné tout le monde.
C'est donc à Hugo que revient le couteau en or et surtout le fameux chèque de 100'000 euros (enfin un peu plus de 54'000 euros, somme proportionnelle aux votes reçus), ainsi que la postérité d'avoir remporté le plus célèbre des concours de cuisine télévisé. Il devrait les investir pour ouvrir un concept de street food à Paris, avec son amie Albane, une autre candidate.
Dommage pour notre petit Genevois, qui n'a pas démérité tout au long de ces derniers mois, et qui fait tout de même figure de perdant sublime, lui, le petit banlieusard français, fils de plombier, que rien ne prédestinait à faire carrière dans de luxueux palaces. Et encore moins à devenir le chef de l'un de ceux-ci. Ne nous faisons pas de soucis pour lui: sa carrière bat son plein, sa notoriété aussi (il a presque doublé son nombre d'abonnés sur Instagram, passant de 120'000 à 222'000 durant la diffusion). C'est un jeune chef dont la carrière sera scrutée.
Une saison en demi-teinte
Avec cet épisode de «Top Chef», c'est aussi une quatorzième saison qui s'achève dans un sentiment d'essoufflement généralisé. La nouvelle formule de l'émission n'a pas vraiment convaincu et ses audiences, bien que toujours confortables avec une douzaine de pourcents de part de marché, se sont affaiblies avec deux épisodes passant même sous la barre des 2 millions de téléspectateurs. Il faut dire que l'on sortait de grands millésimes tels que la saison 2020 qui a révélé des talents culinaires ultra-médiatiques tels que Diego Alary et Mory Sacko.
S'en tenir à cette explication, ce serait ignorer d'autres défauts criants dans l'assiette. M6 reste sourd aux doléances des téléspectateurs qui réclament des émissions moins longues, avec moins de pubs.
L'émission peine, de manière plus générale, à se renouveler. Après 14 ans, elle arrive peut-être à un épuisement du concept et des profils de candidats, toujours très caricaturables et caricaturés, facilement identifiables et classables dans des tiroirs. La battante compétitrice, le gay foldingue, l'immigrée partie de rien, le bouffon de service, le tatoué au regard sombre… tout cela est désormais vu et revu, et cela en devient lassant.
Le concept de la brigade cachée n'a pas séduit, à en juger par les commentaires lapidaires sur les réseaux sociaux. Surtout, il n'a en rien réglé le problème latent. Les gens ne voulaient plus de cette épreuve de la dernière chance interminable qui finit trop tard, M6 en a simplement changé le nom et la formule, mais ça finit toujours aussi tard.
Les bruitages truqués, exagérés, les choix musicaux incessants dignes d'un stand de kermesse, des règles parfois discutables (d'excellents candidats éliminés sans dégustation) ou encore un jury sympathique, mais dont on se demande à, quoi ce dernier sert réellement: tout cela fait partie des problèmes d'érosion que M6 devra régler. Comme un chef en cuisine qui doit sans cesse se réinventer pour rester au firmament, «Top Chef» devra faire preuve d'un peu plus de créativité pour durer.