Il lui aura fallu trois ans. Autrement dit, une fraction de seconde, lorsqu'il s'agit d'ouvrir un restaurant et de le porter au firmament de la gastronomie. Pourtant, c'est bien la prouesse accomplie par Romain Paillereau, le chef du Restaurant des Trois Tours, à Bourguillon (FR). Déjà au bénéfice d'une étoile Michelin et de 17 points au GaultMillau, le voilà sacré «promu de l'année» par le guide gastronomique, qui lui octroie un 18e point, à l'occasion de la publication de son palmarès 2025.
Rien ne semble entraver l'appétit insatiable de ce jovial Périgourdin de 40 ans qui a posé ses valises dans le canton de Fribourg il y a tout juste dix ans. Réputé pour son nez creux, le même guide GaultMillau l'avait sacré «Découverte de l'année» en 2017, puis une première fois «Promu de l'année» en 2020, alors qu'il œuvrait à la Pinte des Mossettes, à Cerniat (FR). Il y a ensuite glané une étoile Michelin.
«Depuis qu'on l'a découvert, Romain Paillereau n'a cessé d'affiner son style et de s'affirmer comme une personnalité majeure de la gastronomie suisse», comment le responsable romand de GaultMillau Knut Schwander.
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En 2021, un reboot pour repartir
En 2021, il décide pourtant de tout plaquer, points et étoile inclus. «Je voulais faire progresser ma cuisine, j'avais besoin pour cela d'un restaurant plus grand, plus confortable», raconte-t-il.
Seulement, ne disposant pas des millions nécessaires à l'achat, la rénovation et l'équipement d'un restaurant gastronomique, les choses s'annoncent ardues. C'est suite à une rencontre avec le fondateur du groupe de pharmacies Capitole (devenu Benu), et épicurien averti Pascal Blanquet, que l'affaire se concrétise: l'homme d'affaires rachète le Restaurant des Trois Tours, le retape, et Romain Paillereau en sera l'exploitant.
Les deux hommes s'entendent à merveille. Le restaurant, une antique auberge du XIXe siècle, prend vie sous leurs crayons. Romain Paillereau imagine tout, dessine tout, jusqu'aux lumières, dans un style gracieux, élégant et épuré. Quel chef n'en rêverait pas? «J'avais du mal à y croire», affirme-t-il encore. Un écrin à la mesure du savoir-faire de ce cuisinier hors pair, qui s'impose comme l'un des meilleurs de Suisse. Voire du monde: on le retrouve dans La Liste, palmarès international distinguant les 1000 meilleures tables de la planète.
«Service, décor, accords avec ou sans alcool, et plats épatants: son projet est cohérent de bout en bout», félicite Knut Schwander.
De Pic à Troisgros
Aux Trois Tours, Romain Paillereau se voit rester vingt ans. De quoi le reposer un peu, tant le début de sa carrière l'a vu voyager.
Après un apprentissage puis une école hôtelière dans son Périgord d'origine, il se dirige en 2003 vers les Baux-de-Provence, puis dans de belles maisons en Autriche, en Angleterre, et bien sûr à Paris où il pose ses couteaux au Four Seasons George V (3 étoiles).
Il s'envole en 2007 pour Los Angeles, où il devient chef de partie poissons à Ortolan, un étoilé fermé depuis. Un jour de 2009, Anne-Sophie Pic l'appelle, elle veut l'embaucher. À peine arrivé dans le fief drômois de la cheffe, celle-ci l'expédie dans son restaurant du Beau Rivage, à Lausanne, où il est propulsé chef de partie viandes et sauces.
De retour à Paris en 2010, il côtoie Michel Troisgros au Lancaster en tant que sous-chef. Alors qu'il caresse l'idée de se rendre en Thaïlande pour satisfaire sa passion de boxe thaï, on lui propose un poste à La Cène, à Fribourg. «Jamais je n'avais pensé faire carrière en Suisse!» C'était en 2014. Depuis, il n'a pas bougé de ce canton.
Bernard Loiseau dans sa cuisine
Sa passion pour la cuisine, Romain Paillereau l'a depuis tout petit. À une époque où Top Chef n'existait pas, trouvez des gamins qui avaient pour idole Bernard Loiseau… Le mythique chef français disparu trône d'ailleurs en photo dans sa cuisine.
C'était la cuisine ou rien. «Bonne cuisinière», sa mère lui a inculqué l'exigence des bons produits. Michel Troisgros lui a quant à lui conféré son amour des agrumes, dont Romain Paillereau a fait son fil rouge.
Et s'il assure vouloir créer sa propre cuisine à partir d'une feuille blanche, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec la méthode Pic, avec qui il partage cette manie de tout noter, consigner, commenter dans des petits carnets qui ne le quittent jamais. D'ailleurs, ses croquis des plats font partie intégrale de la carte du restaurant, une manière d'inviter les convives dans son univers.
Passion agrumes
Celui-ci se décline en deux menus, Idylle et Émotion (4 et 6 plats, respectivement). En cette fin septembre, c'est encore l'été qui s'étire avec des tomates cœur de bœuf, kasha, agastache et yuzu, ou enocre un magret de canard au melon, algues nori et safran. Autre caractéristique culinaire avec les agrumes, Romain Paillereau utilise les épices et les herbes aromatiques avec maestria. Il lorgnait d'ailleurs un jardin tout proche de son restaurant lors de mon appel, et avait déjà en tête la liste de tout ce qu'il planterait pour l'automne prochain.
Son plat phare? La «peau de poulet», des chips de peau croustillants garnis de zestes de citron vert, qu'il apporte lui-même à table en amuse-bouche. «J'ai essayé de les enlever, mais tout le monde les réclame», rigole-t-il. Pas trop vexé de passer à la postérité pour un snack d'apéro? Non, car «d'autres clients arrivent de loin et repartent avec les larmes aux yeux», émus d'avoir pu goûter à son fameux lièvre à la royale, une recette de haute gastronomie française de plus en plus rare, fruit de sept jours d'intense travail.
Sans aucun doute, Romain Paillereau est l'un des chefs les plus talentueux de Suisse. En trois ans, son restaurant a tout balayé, devenant le plus renommé et le plus distingué du canton de Fribourg. Et il compte bien continuer. «J'essaie toujours de pousser les choses un peu plus loin. Et même si je sers clients et inspecteurs de la même manière, être reconnu par les guides gastronomiques reste une émotion forte. C'est comme gagner la Champions League!» Ou une deuxième étoile Michelin. Le mois prochain? «On verra!», conclut-il.