Qu'est-ce qu'on mangera dans le futur? Le musée veveysan de l'Alimentarium invite les visiteurs à se poser la question dans une nouvelle exposition temporaire, «Food2049».
Le vernissage a débuté par une intéressante mise en abyme puisque les médias étaient conviés dans la salle Nestlé, la seule de la bâtisse à avoir gardé son aspect d'origine avec ses boiseries et ses vastes fenêtres donnant sur le lac, un lieu où les fondateurs de Nestlé se posaient sans doute la même question il y a un siècle, avant de poser les premiers jalons de l'industrialisation alimentaire.
«Food2049» fait cependant la part belle à la science fiction, terrain fertile en scénarios imaginant la manière dont les humains s'alimenteraient un jour dans le futur. «La question devrait plutôt se poser en ces termes: que mangions-nous dans le futur?», illustre le conservateur des lieux, Nicolas Godinot.
De «Soleil vert» à Tricatel
Comment les auteurs voyaient-ils notre avenir culinaire? Pas très réjouissant, si l'on pense au terrifiant «Soleil vert» avec Charlton Heston. Ou bien terriblement banal, si l'on se remémore les bols de nouilles de «Bladerunner». Voire écoeurant, avec les plats de bouillie verdâtre servies dans «Brazil».
Ce regard rétrofuturiste permet de se demander si et comment ces visions résonnent avec les tendances, innovations et projections scientifiques actuelles?
L'exposition démarre face à une espèce de machine toute en engrenages et en tuyaux desquels semblent être sortis ici des couverts, là des aliments. On hésite entre une référence à Tricatel dans «L'aile ou la cuisse», ou bien à un instrument aux accents steampunk.
Le début du parcours, qui englobe la première moitié du XXe siècle, dépeint une curieuse vision du progrès technologique dans l'alimentation.
Des scienticafés pour les feignants
Père de la science-fiction, le romancier Hugo Gernsback imagine ainsi un «scienticafé» en guise de restaurant du futur, un endroit «mieux que les anciens lieux de mastication». L'homme devait être un sacré flemmard, puisque son scienticafé entièrement automatisé est dénué de couverts pour libérer l'homme de cette atroce contrainte que de tenir couteau et fourchette. En lieu et place, il faut jouer sur des boutons, interrupteurs et curseurs qui actionnent des tuyaux qui nous versent tout le plat déjà prédigéré dans le bec. Le plus amusant dans tout cela est certainement que le romancier imaginait de tels scénarios non pour horrifier ses lecteurs mais pour leur promettre davantage de plaisir en mangeant. De l'utopie à la dystopie, il n'y a parfois que quelques décennies.
La suite s'éloigne un peu (trop) du sujet de la SF pour s'attarder sur des progrès bien réels, avec la manière dont on imaginait les cuisines ou les ustensiles du futur, plus robotisés et automatisés (Tricatel encore). On ne cuisine plus, on appuie sur des boutons, «sans pour autant remettre en question les genres», souligne la conservatrice et responsable de la collection Jelena Ristic. Oui car ce sont bien les femmes qui actionnent tous ces bidules, comme on le voit dans un spot publicitaire très fifties, et certainement elles encore qui se tapent tout le nettoyage de ces objets.
L'avenir sombre de l'alimentation
La visite se poursuit dans cet espace sombre et quelque peu étriqué réservé aux expositions temporaires, où le parcours n'est pas des plus clairs. Il y est ensuite question de la seconde moitié du XXe siècle. L'horreur de la guerre, l'avènement de l'agriculture moderne et la conscience que l'humanité n'était ni infaillible ni éternelle ont donné de pessimistes idées aux auteurs. «C'est une période durant laquelle sont dépeints des univers avec une vision malthusienne de l'avenir, sur une planète soumise à la surpopulation et aux manque de ressources», décrit Nicolas Godinot.
L'expo se finit sur une période contemporaine avec des éléments sur des projets actuels, bien réels, qui se veulent des solutions à la question de comment nourrir dix milliards d'êtres humains. Des fermes verticales aux plantations subaquatiques en passant par l'appui de l'intelligence artificielle pour une agriculture plus vertueuse pour la nature, plusieurs pistes sont évoquées sur des supports somme toute classiques (panneaux, vidéos).
Les jeux vidéo brillent par leur absence
Le choix de l'angle de la SF dans cette exposition est pertinent, mais l'on peut regretter qu'il ne soit qu'à moitié assumé, avec des impasses manifestes sur des arts plus récents - j'imagine pour des raisons de chronologie. On pense à la série animée «Futurama», chef d'oeuvre en la matière qui interroge notamment sur ces questions d'alimentation, ou encore au secteur du jeu vidéo, royalement ignoré alors qu'il pouvait éclairer différemment ces questions à mon sens. Des jeux tels que «Fallout», «Bioshock» ou «Portal», pour ne citer que ces trois dystopies, ont chacun une relation à la bouffe fort intéressante.
Toujours est-il qu'en revisitant l'histoire de l'alimentation sous un angle rétrofuturiste, «Food2049» parvient quand même à nous interroger sur les peurs, les désirs et les espoirs liés à l'alimentation du futur, comme le voulaient ses concepteurs. Des questions qui résonnent particulièrement avec le contexte planétaire actuel, et le spectre d'une crise alimentaire majeure au-dessus de nos têtes.
Expo «Food2049»
Mai 2022 à mars 2023
Alimentarium
Quai Perdonnet 25
Vevey (VD)