Un coup de blues? Prenez un petit biscuit, ça ira mieux. Non, on ne parle pas ici de space cake pour s'envoyer en orbite, mais de cookies contenant des ingrédients censés aider à lutter contre le stress.
En Suisse, l'entreprise Forbidden Root commercialise de la pâte à cookie bio, végane, sans gluten ni conservateurs, mais surtout dopée avec des ingrédients qui «supportent le système cognitif, immunitaire et la santé mentale». «Ce sont à la fois des aliments et des compléments alimentaires, similaires aux barres contenant des «superaliments» qui sont sur le marché», m'explique dans un e-mail Alice Gronvall, fondatrice de l'entreprise.
Ces mystérieux ingrédients, ce sont des adaptogènes, terme qui englobe une vaste famille d'herbes, de plantes et de champignons. Ils ont pour point commun d'être associés à des effets bénéfiques, principalement antistress physique et psychique. Et d'agir de manière non spécifique, c'est-à-dire contre tout un éventail de causes.
Pas vraiment une nouveauté, les aliments et plantes adaptogènes sont utilisés depuis longtemps dans plusieurs médecines traditionnelles, en Chine et en Inde notamment. Peu mis en lumière dans le monde occidental, les voilà en vogue depuis quelques années, encore plus depuis la pandémie, portés par la mode des régimes véganes et du tout-naturel. Sur TikTok, le hashtag #adaptogens cumule actuellement 157 millions de vues, souvent des utilisateurs qui donnent des conseils ou vantent les mérites de tel ou tel produit.
Que contiennent les produits adaptogènes?
Dans les cookies aux pépites de chocolat de Forbidden Root, on trouve des ingrédients végétaux habituels des biscuits végans, mais aussi des poudres de champignons maitake et shiitake, deux ingrédients adaptogènes. Ces derniers «sont riches en bêta-glucanes qui soutiennent le système immunitaire. Ils sont également anti-inflammatoires et riches en antioxydants», détaille Alice Gronvall.
D'autres produits misent sur le ginseng, ou sur un autre champignon, la crinière de lion, réputée pour favoriser la concentration, la rhodiola (une racine), etc. C'est le cas de Moon Juice, l'un des leaders du marché, qui promet que ses poudres d'adaptogènes moitié compléments alimentaires, moitié produits de beauté «transforment le corps et l'esprit». On en trouve aussi en Suisse, à des prix exorbitants.
Les produits adaptogènes sont-ils vraiment efficaces?
Les promesses des adaptogènes tiennent du miracle. Stress, fatigue, concentration, contrôle des émotions, vigilance… nommez un effet, il y a de fortes chances qu'on vous vende un extrait de plante pour ça. C'est d'ailleurs le propre de ces préparations, qui n'agissent pas spécifiquement à la source du mal, mais favorisent la résistance générale au stress de l'organisme, explique Muriel Cuendet, professeure de pharmacognosie à l'Université de Genève (la pharmacognosie est l'étude de l’activité biologique des substances d’origine naturelle).
C'est pour cette raison que les effets promis relèvent parfois de tout et de son contraire. Ainsi, l'ashwagandha, un arbuste adaptogène dont la racine est utilisée en médecine indienne ayurvédique, sert aussi bien de tonique (pour vivifier le corps et l'esprit) que de somnifère. Mais ces remèdes traditionnels sont-ils prouvés scientifiquement? Quand je lui demande de clarifier les allégations santé de ses produits, Alice Gronvall me répond puis me précise: «Je ne peux pas faire des déclarations définitives légalement».
Lorsqu'on recherche des informations sur les adaptogènes, on tombe souvent sur la même histoire: ces plantes auraient fait l'objet de recherches militaires dans l'ex-Union soviétique. On ne peut hélas pas juger des résultats, car la plupart des études sont absentes des grandes bases de données de la littérature scientifiques. Pour savoir si les adaptogènes sont efficaces, il faut mener des essais cliniques, rigoureux de préférence. Or les méthodologies détaillées dans la littérature actuelle ne sont généralement pas très solides. Beaucoup d'études sont ainsi menées in vitro ou sur des animaux: de premières étapes nécessaires, mais dont les résultats ne sont pas transposables à l'être humain.
«A ce jour, les essais cliniques sur les adaptogènes n'ont pas permis d’établir de preuves formelles de leur activité. Certains mettent un effet en évidence, d'autres non. Mais absence de preuve ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'effet», nuance Muriel Cuendet. Autre obstacle méthodologique, le potentiel thérapeutique d'une même plante peut fortement varier selon la région dans laquelle elle a poussé, et les méthodes de préparation des extraits ne sont pas standardisés, ce qui complique toute comparaison.
Autrement résumé, la science n'a ni prouvé l'efficacité des adaptogènes, ni leur inefficacité. Comme souvent dans les recherches, il faut plus de données pour en savoir davantage.
Est-ce que les adaptogènes peuvent être dangereux?
A priori non. Les adaptogènes sont souvent présentés comme non toxiques et dénués d'effets secondaires. «Il faut toutefois faire attention aux possibles interactions médicamenteuses ou aux situations particulières telles que les grossesses ou l'allaitement, et les maladies chroniques», ajoute-t-elle. Mieux vaut se renseigner auprès de son médecin.
Est-ce que les adaptogènes permettent de combattre le stress?
Malgré ce flou scientifique, les adaptogènes gardent un certain intérêt, dans certaines conditions. «L'effet placebo peut avoir une action bénéfique, fait valoir la professeure. Si on se sent mieux par effet placebo, c'est toujours mieux que de prendre des médicaments aux possibles effets secondaires délétères avérés».
Mais tout cela ne vaut généralement que pour de fortes doses d'adaptogènes. Or les produits alimentaires tels que les cookies, pour rester agréables à manger, en contiennent à priori moins qu'une gélule. Autre écueil, le fait de chauffer les cookies (ou les tisanes) pour les cuire peut dégrader les substances actives. «En laboratoire, on évite généralement de chauffer les extraits à plus de 40 degrés», précise Muriel Cuendet. Bref, c'est une piste envisageable pour qui souhaite combattre le stress, mais il ne faut pas en attendre de miracles.