Dans son resto à Genève
Que vaut le menu à 76 francs de Danny Khezzar?

A Genève, le finaliste de «Top Chef» et chef du restaurant Bayview propose un menu de midi en trois services à prix modéré.
Publié: 07.07.2023 à 15:36 heures
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Dernière mise à jour: 07.07.2023 à 16:10 heures
Des nappes, des gros fauteuils, une vue sur le lac, et une étoile Michelin.
Photo: DR
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Métro, resto, dodo. Finaliste malheureux de «Top Chef», Danny Khezzar a repris la routine du travail. Il officie au Bayview, à l'hôtel Président Wilson à Genève, table étoilée dont il a récemment repris les rênes, toujours sous la direction du Meilleur ouvrier de France Michel Roth qu'il suit depuis huit ans.

Alors que je me dirige vers l'entrée du restaurant, marchant dans un couloir décoré de somptueuses tapisseries qui pendent paresseusement aux murs, je peine à imaginer Danny Khezzar cuisiner ici. Lui, le petit gars aux tresses blond platine, avec son accent de banlieusard, pratiquant le rap à ses heures perdues? Que ferait-il dans ce resto un peu bourge, un peu coincé, avec sa vue sur le lac, sa musique jazzy, ses serveurs ninja et ses nappes immaculées tirées au cordeau? Je l'imagine plus volontiers dans un pop-up branchouille parisien – et c'est d'ailleurs exactement ce qu'il va faire tout l'été dans la capitale.

Mais comme le rappelle sa toque coiffant ses tresses, c'est justement ce contraste qui rend Danny Khezzar intéressant et fait de lui un ovni dans le monde de la haute gastronomie. Alors voyons si ses éclats sur M6 passent le reality check lors d'un repas au Bayview. Et quoi de mieux que de commencer par le business lunch en trois services, qui permet de se faire une idée pour 76 francs?

Danny Khezzar, le goût du risque

Clin d'œil à Top Chef, Danny sert en amuse-bouche une chips de pomme de terre tout à fait transparente. Beau joueur, car c'est sur ce thème qu'il avait échoué au deuxième épisode.

Lors de l'émission, Danny brillait par sa technicité, mais aussi par son goût du risque et du bordel, à toujours vouloir ajouter une saveur, un élément, quand ce n'était pas carrément un plat dans le plat.

Je me souviens d'une épreuve où il avait préparé une royale à la courge butternut et fève tonka, qu'il avait fourrée avec un praliné aux cèpes et aux noix. Complexe? Pas assez à son goût, puisqu'il avait ajouté à la der une coquille d'œuf remplie de crème anglaise à la vanille brûlée. Un peu fou, un peu trop, mais ça passe (presque) à tous les coups: voilà la signature de Danny.

Comme un bleuet

J'ai cru retrouver cette folie lors d'un second amuse-bouche, une tartelette garnie de petits pois entiers et en espuma, ainsi que d'une brunoise de longeole, spécialité de saucisse genevoise. Il y ajoute un œuf de caille mollet et un… bleuet, qu'on prend initialement pour un petit pois noir. Un peu fou, un peu trop!

Photo: Fabien Goubet

La suite du menu s'est montrée finalement plus sage. Une fleur de courgette est présentée en forme de gros bulbe bien dodu. On pratique une incision pour découvrir à l'intérieur une farce de fine ratatouille. Et on se sert à volonté d'une huile de basilic agrémentée de crème double. Ludique et gourmand, même si j'ai trouvé que la promesse de cette huile, censée être fumée au foin, était peu tenue. Mais c'est peut-être que je suis trop habitué à des fumages puissants, étant fan de barbecue.

Photo: Fabien Goubet

Au charbon

En parlant de ça, j'enchaîne – forcément – avec un rouget cuit au binchotan, un charbon de chêne japonais qui se présente sous la forme de gros morceaux de branches et qu'on utilise pour cuire les aliments soit sur grille, soit à même la braise.

La chair du poisson, d'une qualité exceptionnelle, en ressort douce et nacrée, parfaitement respectée par ce mode de cuisson. Quelques écailles ont été soufflées, ce qui les rend croustillantes. Pour accompagner le poisson, des polentas en plusieurs textures, une sorte de rouille provençale mousseuse qui évoque la bouillabaisse (un peu froide), et enfin deux carottes fanes.

Photo: Fabien Goubet

Les pauvrettes ont été torturées: d'abord déshydratées, elles ont été réhydratées dans leur propre jus durant 12 heures. Elles développent ainsi des saveurs corsées hyper sucrées qui donnent presque dans le fruit confit ou la pâte de fruit. Surprenant, peut-être un peu too much à côté de la finesse du rouget. Et surtout, la chair des carottes acquiert une consistance un peu caoutchouteuse qui me rappelle mes carottes que j'oublie trois semaines au fond de mon bac à légumes. Mais globalement, cette assiette de jeux de textures tient la route.

Une bonne initiation

Je termine avec un dessert frais et fruité, une pêche de vigne pochée à l'hibiscus, servie avec une quenelle de glace verveine un peu trop copieuse et quelques fruits frais. Il est 13h37, l'heure des geeks, mais aussi celle à laquelle je termine mon repas: la promesse d'un business lunch nécessairement pas trop long (une heure et demie) et pour 76 francs est donc tenue. Pour qui veut mettre un coup de fourchette dans l'assiette de Danny, ce menu déjeuner est une excellente initiation. Palace oblige, il faudra toutefois prévoir une trentaine de francs en sus pour les boissons et le café.

Mais pour véritablement pénétrer dans l'univers de Danny Khezzar, pour avoir un peu plus de technique et de folie, j'ai l'impression qu'il me faudra revenir déguster son menu signature en 6 ou 9 plats (145 et 215 francs, sans les boissons), ou pourquoi pas manger à la carte. Son homard bleu, beignet de maïs et kumquat noir, servi avec du lait de poule (125 balles quand même, coquinou), a déjà l'air plus fou.

L'addition:
Menu: 76 francs
Thé froid: 12 francs
Eau minérale: 9 francs
Expresso: 9 francs
Total: 106 francs

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