Un paysage de basse montagne, avec des vaches dans les prés et des montgolfières dans le ciel: check. Un mignon petit village parfaitement entretenu: check. Une fabrique de chocolat établie depuis pas loin d’un siècle, avec un savoir-faire transmis de génération en génération: check. Ha, et des publicités incompréhensibles: check.
Pas de doute, on est bien en Suisse, plus précisément dans le Jura bernois, à Courtelary, sur les terres du chocolatier Camille Bloch, qui fabrique les fameux Ragusa dont on fête les 80 ans cette année.
Pour l’occasion, la maison familiale fait portes ouvertes ce week-end du 30 avril et invite public et médias à visiter le saint des saints du chocolat suisse: ces petits chocolats pralinés, truffés de noisettes entières, étant — et de loin — le nec plus ultra des gourmandises suisses, comme le sait chaque personne éduquée.
Des Ragusa et des saucisses
L’usine, très moderne après avoir été agrandie et adossée à un centre des visiteurs (et une escape room) en 2017, siège à deux pas de la gare de Courtelary, 1400 âmes au compteur. C’est la fierté des habitants et le poumon économique local avec 180 employés et 100 000 visiteurs annuels.
Il faut le voir pour se rendre compte à quel point l’ambiance y est à nulle autre pareille. «Ici tout le monde se connaît et s’appelle par son prénom», me glisse une employée qui nous a guidés lors de la visite, avant d’aller prendre son deuxième poste près des grills qui chauffaient pour servir des saucisses tout le week-end. «Quand il y a un événement, tous les gens du coin viennent», me confirme un confrère qui connaît bien mieux la région que moi.
En pleine crise de confiance du chocolat suite au scandale des Kinder Ferrero, la chocolaterie jurassienne respire confiance et tranquillité et les employés se tiennent à disposition des visiteurs pour partager leur passion (précisons que les règles d’hygiène et de sécurité sont évidemment scrupuleusement respectées).
Daniel Bloch, comme un petit écureuil
Ici tout est fabriqué maison: les 454 tonnes de fèves de cacao en provenance du Pérou et du Ghana, tout comme les 670 tonnes de noisettes de Turquie et de Géorgie, ne ressortent de là qu’une fois transformées en délicieux Ragusa, Torino et autres déclinaisons.
Mythique friandise, le Ragusa est né en 1942 de la volonté du fondateur Camille Bloch de mieux contrôler son approvisionnement et donc les fluctuations des cours en matières premières, qui flambaient en pleine Seconde Guerre mondiale. L’entrepreneur décide alors d’intégrer des noisettes dans ses produits, ce qui est devenu la marque de fabrique de la maison.
Aujourd’hui encore, cette préoccupation est au centre des réflexions de la marque. Premier producteur mondial de noisettes, la Turquie est en proie à des difficultés économiques qui mettent sous pression ses nuciculteurs. Tel un petit écureuil qui stocke ses noisettes avant les hivers difficiles, le CEO Daniel Bloch, le petit-fils de Camille, a récemment acquis des terres en Géorgie afin d’y planter ses propres noisetiers et de moins dépendre des aléas de la production turque.
«Nous avons toujours vécu dans l’abondance, mais on voit aujourd’hui que les matières premières ne sont pas toujours disponibles. Cela nous permet donc d’avoir un certain stock, mais aussi de mieux contrôler la qualité», explique-t-il. A l’heure des délocalisations en tout genre, cet élégant dandy aux yeux bleus pétillants qui salue tout le monde, la main dans la blouse façon Bonaparte, a donc opté pour une trajectoire inverse en assurant lui-même la production d’une partie de sa chaîne d’approvisionnement.
Nutella de luxe
Une fois torréfiées durant une petite heure à plus de 100 degrés, les noisettes sont concassées pour en faire une pâte marron. Vérification faite, la texture rappelle celle du beurre de cacahuètes, le goût celui du Nutella. Chaque Ragusa contient environ 20% en masse de cette pâte.
Celle-ci est ensuite mélangée au cacao et au sucre pour former une pâte qui va subir plusieurs étapes de broyage afin de la transformer en une poudre ultra-fine de grains de 18 micromètres, le tiers de celui d’un cheveu. Sur la langue, et contrairement au cheveu, ils fondent immédiatement sans que l’on puisse en percevoir la granularité. C’est un travail important qui a un coût: plus cette poudre est fine, plus il faut ajouter du beurre de cacao, un onéreux ingrédient, m’explique un employé devant la broyeuse. Le prix de la qualité.
Cette poudre est ensuite conchée, c’est-à-dire mélangée à chaud et pendant 4 heures, afin d’éliminer amertume et acidité résiduelles. Le chocolat est alors plutôt liquide et prêt à être moulé à l’étage inférieur.
«Les Ragusa appartiennent à tout le monde»
On y prépare les Ragusa classiques selon un procédé simple comme bonjour: une coque de chocolat est préparée dans un grand moule rectangulaire, puis remplie de praliné et de noisettes et enfin recouverte d’un couvercle de chocolat, avant d’être refroidie et découpée en barres ou petits carrés prêts à être emballés. Quelque 1550 tonnes sont ainsi fabriquées chaque année.
La visite touche à sa fin et je ne résiste pas à la tentation en demandant à Daniel Bloch lequel est son préféré — et en espérant secrètement qu’il me dise chocolat noir.
«C’est difficile de donner mon avis, dit-il après réflexion. Un jour, j’ai été renvoyé d’un camp de ski pour ne pas avoir distribué à tout le monde des Ragusa que mon père m’avait envoyés par la poste. Je me suis rendu compte que les Ragusa ne m’appartenaient plus, mais qu’ils appartenaient en fait à tout le monde.»
Oui bon d’accord, mais son préféré? «Je ne devrais peut-être pas le dire, mais c’est l’œuf de Pâques. Certainement parce qu’il est ovale, contrairement aux Ragusa qui sont rectangulaires ou carrés, sans doute mon côté incorrigible», sourit-il, espiègle. Vérification faite, ils sont effectivement délicieux. Surtout ceux au chocolat noir.
Infos pratiques sur le week-end portes ouvertes ici.