C’est sans doute l’un des plus jolis hôtels de la Riviera, avec sa cinquantaine de chambres à peine. Toutes différentes, mais toutes charmantes. Sublimées par une vue immédiate sur le lac, sur les montagnes et sur quelques mâts de bateaux nichés dans le petit port attenant.
Depuis son ouverture en 2007, et après une rénovation complète supervisée par l’architecte d’intérieur et décorateur star Pierre-Yves Rochon, le Grand Hôtel du Lac à Vevey (VD) a toujours pris grand soin de régaler les papilles de ses hôtes. Derrière les cuisines de l'hôtel, on se souvient du Français Fabrice Taulier, mais surtout des douze années passées ici par Thomas Neeser. L'Allemand y a obtenu une étoile Michelin et le titre de Cuisiner d’Hôtel de l’année en 2015, décerné par le magazine «Bilan».
Timing parfait
En janvier 2023, grosse annonce: Guy Ravet, fils de Bernard, qu’il épaulait depuis quelques années déjà dans leur temple gourmand de Vufflens-le-Château, allait prendre en main les tables du Grand Hôtel du Lac. Tout cela selon un timing parfait, soit le désir concomitant de Thomas Neeser d’aller vers d’autres projets, et celui de la famille Ravet de fermer son Ermitage.
Au cœur de ce cinq étoiles, le chef de 40 ans, qui en fait bien dix de moins, prend donc les rênes de deux restaurants permanents auxquels s’ajoute, à la belle saison, le Buddha Bar, autour de la piscine extérieure.
A côté de «l’Esprit Kitchen et Bar» et de sa carte de mets de palace à déguster tout au long de la journée et d’un menu familial le dimanche midi, «l'Emotions par Guy Ravet» est la table gastronomique. Une vingtaine de couverts et une ambiance chic et intimiste servent de cadre à l’essence de la cuisine du chef quadragénaire, qui ambitionne de se faire un prénom sans pour autant tourner le dos à son héritage familial.
L'alfalfa qui ne sert à rien
J'ai répondu présent à l'invitation donnée par l'établissement. Attablée dans cette jolie salle à manger où le regard se perd sur les murs tendus de délicats papiers peints aux tons sépia, place donc à un menu unique en six séquences.
En préambule, ce sont deux petits amuse-bouches qui arrivent pour accompagner notre coupe de champagne. Un saumon mariné au gingembre rehaussé d’une tuile légère de riz croustillant joue le parfait préambule avec sa texture fondante-croquante dans laquelle le côté gras du poisson est réveillé par la saveur asiatique de la piquante racine. Un petit sablé au thym surmonté d’un tartare de bœuf et de quelques sphères de caviar annonce un vent terre-mer que l’on retrouvera à l’occasion.
Pour accompagner ses créations, Guy Ravet peut sans crainte se reposer sur Antoine Lejeune. Venu du Crans à Crans Montana, cet inventif sommelier imaginera pour nous un surprenant voyage à travers la Suisse, des Grisons à Satigny en passant par Lavaux.
En guise de première entrée de cette carte d’hiver qui connaît ses dernières heures, Guy Ravet a choisi de travailler la Saint-Jacques en carpaccio, arrivée de Dieppe dans l'après-midi.
Et elle accorde sa fraîcheur douce et légèrement iodée avec une émulsion de betteraves relevée d’une très fine brunoise de fenouil. Une réussite, la touche légèrement anisée du fenouil contrebalançant joyeusement la saveur terreuse de la racine. Un plat hautement désirable (même par ceux qui n’aiment pas la betterave) qui aurait sans doute pu se passer de l'ajout de quelques jeunes pousses d'alfalfa un peu trop acides à notre goût.
Le coup de cœur: du céleri!
Pour le deuxième acte, le chef a choisi de travailler son foie gras du sud-ouest en sphères légères lustrées à l’argousier, un petit fruit du sud au goût acidulé. Elles sont servies sur un très léger crumble de fruits secs agrémenté de pickles et accompagné d’une petite brioche tout juste sortie du four. Une entrée gourmande et surprenante d’élégance et de délicatesse grâce à l’acidité de l’argousier, du verjus et de l’hibiscus.
Le plat qui a suivi, soit un millefeuille de céleri fondant surmonté de caviar Kristal et arrosé d’un jus végétal corsé est un vrai coup de cœur. Quel plaisir de couper ce rectangle moelleux à la cuillère et de se régaler de la saveur subtile de ce céleri boule sublimé par un jus de légumes puissant et hyper goûteux. Un délice abondamment saucé pour ne pas en laisser une goutte.
De la Suisse au Japon
Les deux séquences suivantes mixent les influences diverses et illustrent l’amour du chef pour les produits de son terroir et ceux en provenance du Japon. Pour accompagner son omble chevalier fumé, Guy Ravet a donc cuisiné un bouillon dashi à base de thon séché, mais aussi de pleurote bio de Vevey. C’est malin et léger et tout à fait approprié pour ce milieu de repas.
L’assiette suivante, soit la poitrine de wagyu du Jura en cuisson plus que lente, 48 heures, accompagnée de truffe noire du Périgord et servie avec une polenta du Tessin et quelques légumes glacés, ne nous a pas convaincues. On aurait sans doute préféré ce produit noble, ici confit et surmonté de ses parures travaillées en rillettes, cuit, apprêté et accompagné, plus simplement.
Enfin, pour le dessert, c’est un trompe-l'œil, une fake mandarine, comme malicieusement annoncé par notre très élégant serveur, qui clôt la cérémonie. Soit une mandarine corse confite ceinte dans un mousseux coco accompagné d’une délicieuse glace aux marrons servie avec une eau rafraîchie à l'orange et au thé au Jasmin judicieusement suggérée par Antoine Lejeune. Un épilogue audacieux entre terroir et exotisme, mais plutôt réussi pour clore un repas où l’émotion voulue par Guy Ravet était au rendez-vous.
Emotions par Guy Ravet
Rue d'Italie 1, Vevey