Les jolis poissons de Gaëtan Joly
Le restaurant Grains de Sel à Sainte-Croix, une belle surprise bistronomique

Tout juste arrivé aux fourneaux de l'établissement, le chef breton Gaëtan Joly fait parler sa maîtrise des poissons, qu'il accompagne de subtiles touches exotiques. Un superbe rapport qualité prix.
Publié: 11.07.2024 à 11:57 heures
Élégante et technique, tout en restant lisible et accessible: la cuisine de Grains de Sel est un bel exemple de bonne bistronomie.
Photo: DR
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Pour une première carte, quelle réussite que celle signée par Gaëtan Joly au Grains de Sel à Sainte-Croix (VD)! Arrivé aux fourneaux en mai, le nouveau chef a remplacé Émeline Heems, sans toutefois bousculer le concept de ce petit restaurant bistronomique installé dans ce qui était la salle de bal d'un ancien hôtel.

Après avoir pénétré dans le bâtiment par une salle de… boulangerie et salon de thé, aussi immense qu'improbable, j'arrive dans un très joli resto. Il y a des boiseries, des nappes et tout le bataclan, mais l'atmosphère sait rester confortable (pour une fois qu'un resto offre de bons fauteuils bien douillets, on ne va pas se plaindre), intimiste (les tables sont peu nombreuses et espacées, ce qui concentre l'attention), et surtout chaleureuse, grâce à un service remarquable.

Un chef au parcours prestigieux

On peut dire ce qu'on veut, je suis toujours un peu irrité de ces restaurants dans lesquels il n'y a pas de pain en attendant la suite des festivités. Grignoter, c'est de la gourmandise, alors s'il n'y a pas de pain, elle est où la gourmandise, hein? Je vous le demande. Coutume trop souvent oubliée, mais heureusement pas ici, puisqu'on nous régale avec une sélection de petits pains maison du boulanger-pâtissier et traiteur Eric Vuissoz, par ailleurs maître des lieux. Je me fais donc quelques tartines avec les trois beurres maison du jour: poivre de kampot, citronnelle et un surprenant colakraut. Oui, un beurre aromatisé avec cette herbe au goût de Coca, que j'ai trouvé aussi délicieux que rigolo.

Au menu (88 francs), deux entrées, un plat et un dessert. Pas mal, non? Le poisson frétille sur la carte, alors je me décide pour un poulpe rôti en patientant avec des amuse-bouche fort travaillés.

Il y avait un magnifique coussin soufflé transparent contenant du houmous ainsi qu'un coulis de tomates fermentées, agrémenté de pas moins de trois préparations: une tempura de champignons enoki, du pak choi fermenté, et des rillettes de perche. Surprenante et impressionnante entrée en matière, qui dessine déjà les contours de la cuisine de Gaëtan Joly, lequel marie brillamment (et seul en cuisine) produits du coin et touches exotiques. 

Poulpe, gaspacho de betterave, fraises, condiment mangue-curcuma
Photo: Fabien Goubet

À bien regarder son CV, une telle technicité n'a rien de surprenant. Le chef a effectué le gros de sa carrière dans de prestigieuses maisons françaises. Il est notamment passé par L'Atelier de Jean-Luc Rabanel à Arles (deux étoiles Michelin, 19 points au GaultMillau), puis un autre atelier, celui de Joël Robuchon à Paris (deux étoiles, 14 points) et surtout à La Bouitte en 2016, année où le restaurant savoyard de René et Maxime Meilleur obtînt une troisième étoile, perdue cette année. «Le parcours et sa cuisine de Gaëtan Joly correspondent bien à ce que je voulais faire avec ce restaurant», résume Eric Vuissoz.

Un maître des poissons

La suite du repas, évidemment, fut plus «ordinaire» que la mise en jambes, mais pas moins délicieuse. À commencer par les cuissons des poissons, absolument parfaites. Le poulpe, aucunement coriace ni caoutchouteux, est presque fondant. La truite gravlax s'acoquine avec le citron caviar (mais s'ennuie avec le crémeux de petits pois, un peu fade, sans doute un clin d'œil au nom du restaurant…). Quant au sandre, cuit à basse température, il offre une chair douce, ferme et nacrée, tout en délicatesse.

Truite gravlax, crémeux de petits pois, sérac
Photo: Fabien Goubet

Outre son savoir-faire professionnel, il y a sans doute un peu d'histoire personnelle là-dedans. C'est que Gaëtan Joly est tombé dans la marmite de poissons quand il était petit. Ce natif de Belle Île en Mer en Bretagne a passé son enfance à observer son père, pêcheur, et sa mère, qui cuisinait les poissons pour les repas. «Ma mère laissait reposer le poulpe 24 heures pour l'attendrir avant de le préparer. Évidemment de nos jours, on fait autrement en cuisine», sourit le chef, qui confie avoir utilisé un thermoplongeur pour mon entrée.

Élégants et contemporains, ses dressages flattent la rétine et sont appétissants. Tout en sachant rester parfaitement lisibles dans les assiettes: on n'est ni au musée, ni dans un labo de chimie: Grains de Sel est un restaurant qui fait à manger.

Cela, je le dis car la gourmandise n'a pas été sacrifiée sur l'autel d'Instagram. La preuve avec ces petits pains beurrés, dont j'ai abusé, mais aussi avec cette crème à l'oseille dont on se ressert allégrement, ou encore ce roboratif risotto d'épeautre à la crème double qui tous deux accompagnent le sandre. Gourmandise encore dans la carte des vins de la région, dont toutes les références sont disponibles au verre. C'est toujours plus sympa quand on veut goûter un peu de tout!

Sandre, crème à l'oseille, légumes fermentés
Photo: Fabien Goubet

Les desserts du pâtissier

Alors que Gaëtan Joly excelle sur le salé de Grains de Sel, pour la partie sucrée, c'est Eric Vuissoz qui s'y colle, démontrant son savoir-faire. Des desserts simples mais délicieux, mettant à l'honneur des produits précis ou de saison. Il propose ainsi un parfait glacé à l'absinthe, très joueur, un intriguant crémeux passion au chocolat bionda, ou, dans mon cas, un excellent crémeux de pamplemousse au siphon, accompagné de quelques suprêmes du même agrume et recouvrant une compotée de cerises noires. Un dessert léger, qui laisse une subtile fraîcheur teintée d'amertume, conclusion parfaite d'un restaurant à l'excellent rapport qualité prix.

Pour tous les amateurs de belle cuisine, on ne peut que recommander d'aller découvrir cette jolie adresse qui n'est qu'à 40 malheureuses minutes de route de Lausanne ou de Neuchâtel. À noter que le restaurant n'est ouvert que du jeudi au samedi, les soirs uniquement, plus le dimanche midi. Une volonté d'Eric Vuissoz de laisser davantage de temps libre à son équipe, ce que l'on ne peut que saluer.

Grains de Sel
Rue Centrale 16, Sainte-Croix

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