Alors que la résidence helvétique de la cheffe Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage Palace à Lausanne, est fermée pour une rénovation complète, il faut se déplacer jusqu'à Valence pour se régaler de la cuisine de la cheffe française dans son restaurant triplement étoilé éponyme au sein de La Maison Pic. Je m'y suis rendue, sur invitation de l'appellation des vins Saint-Joseph.
La cuisine en héritage
La maison Pic est l'un des restaurants français les plus mythiques, un lieu pétri d'histoire et de transmission de génération en génération. Celle-ci remonte à 1889 avec l'ouverture par Sophie Pic, l'arrière-grand-mère d'Anne-Sophie, de l'Auberge du Pin dans les collines de Saint-Péray, en Ardèche.
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Repris par son fils André, l'établissement gagna ses lettres de noblesse avec trois macarons Michelin dans les années 1920, avant de déménager à Valence, où il se situe encore aujourd'hui. Vînt ensuite son fils Jacques, qui regagna la deuxième puis la troisième étoile qui avaient été perdues après-guerre, et enfin sa fille Anne-Sophie qui reprit le flambeau dans les années 1990 et regagna, elle aussi, en 2007 des étoiles précédemment perdues.
Cette adresse qui scintille depuis plus de 15 ans au firmament des meilleures tables françaises et du monde vaut-elle vraiment un détour par le Rhône?
Une chorégraphie raffinée
J’ai pour ma part été invitée par l'appellation Saint-Joseph pour un menu en 7 temps, et 15 dégustations de vins, pas exactement l'expérience du client lambda donc, mais de quoi se forger un bon aperçu de la cuisine de l'endroit.
À la maison Pic, les menus en 7 et 10 haltes y sont affichés à 310 et 410 euros (sans boissons), le premier tarif n’étant disponible que pour le déjeuner en semaine.
Un «trois mac’» c’est tout un rituel, un voyage, une mise en scène et surtout pour la Maison Pic, un établissement «surstaffé» où chaque détail est soigné, pensé, travaillé. C’est la découverte de tout un univers de raffinement assez unique ou rien n’est laissé au hasard.
En cuisine, ce ne sont pas moins de 25 chefs, sous-chefs, cuisiniers et apprentis, venus du monde entier (sans compter la pâtisserie et la boulangerie) qui s’activent dans un calme olympien, et au moins une bonne quinzaine au service pour le déjeuner. Je n'ai pas compté toutes les têtes, mais pour une tablée de 11 convives, j’ai déjà aperçu 5 personnes à la sommellerie, ce qui pourrait toutefois être la conséquence de la présente invitation. D’ailleurs, les vins, préalablement carafés dans une vaisselle d’un raffinement exceptionnel, furent servis de manière synchronisée pour chaque convive de la table.
Ceci n'est pas une huître
Après quelques amuse-bouches savoureux, on passe à l'huître Tarbouriech, servie aux tables les plus prestigieuses. D'une qualité exceptionnelle, elle est ici servie au naturel, avec une émulsion d’eau de mer et d'huîtres, arrosée d’un bouillon dashi léger.
Elle s’accompagne d’une huître croustillante, en fait un trompe-l'œil de chips charbonneuses garnies d’un tartare de thon subtilement aromatisé et d'une glace au géranium rosat. Pas idéale à manger avec les doigts, mais la touche florale de cette bouchée est renversante.
Des berlingots qui tombent à Pic
Viennent ensuite les fameux berlingots de la cheffe, une marque déposée d’ailleurs et surtout son plat signature qu’elle décline au gré des saisons en de multiples saveurs.
Ce plat est une revisite personnelle de la raviole de Romans, fameuse spécialité drômoise. Ici la cheffe propose une raviole verte au thé matcha, fourrée avec un coulant au crémeux de chèvre de Banon, à l'incroyable saveur de sous-bois fumée.
Celles-ci sont ravivées par un consommé de cresson très vert, à la saveur hyper végétale dont la légère amertume réveille celle du thé matcha mais qui était pour l'occasion adouci pour mieux s’accorder avec le vin choisi. En plat principal, je l’ai joué classique avec du bœuf de Charolles AOP parfaitement cuit, idéalement assaisonné: rien à dire.
L'excellence d'un des meilleurs restaurants du monde
J’ai stratégiquement passé mon tour sur le Brie de Meaux accompagné d'une mousse crémeuse aussi étonnante qu’odorante pour me concentrer sur les desserts. Si j’ai fait le choix du magnifique et réconfortant chocolat en alvéoles (chocolat Valrhona de la région bien sûr) au goût puissant adouci par des touches de thé hojicha, je dois dire que les quatre propositions étaient absolument renversantes.
Mention spéciale pour le dessert autour du raisin, «les larmes de Bacchus», fort en safran, qui associe judicieusement l’acide, le sucre, le fruit et le vin jaune Tokaji (un vin sirupeux hongrois) autour d’un dressage aussi technique que splendide.
L'expérience Pic fut tout bonnement exceptionnelle, de par cette cuisine de la cheffe la plus étoilée au monde, mais aussi de par le service précis et chorégraphié qui a su rendre le moment encore plus exceptionnel.
Tous les détails comptent et sont maîtrisés, jusqu'à l'énoncé précis des plats volontairement énigmatique afin de ne pas trop en dévoiler, faisant de tout le déjeuner une expérience de découverte voyageuse et subtile: magnifique.
Maison Pic
285 Av. Victor Hugo, Valence, France