Voilà un cuisinier qui flirte avec l'indigestion… de récompenses! Après avoir raflé sa première étoile Michelin il y a un mois, le chef du Valrose et Meilleur ouvrier de France 2015, Benoît Carcenat, a reçu une nouvelle distinction. Et pas des moindres, car le GaultMillau l'a nommé cuisinier de l'année 2023, à l'occasion de la publication lundi 7 novembre de la nouvelle édition du guide.
«C'est un chef au parcours fantastique, passé par de grandes maisons notamment à l'Hôtel de Ville de Crissier», commente Knut Schwander, journaliste et responsable du GaultMillau pour la Suisse romande.
Impressionnant, le parcours du chef exécutif de La table du Valrose à Rougemont (VD) l'est assurément. Âgé de 44 ans, ce natif du sud-ouest à la bonne bouille gourmande a grandi dans le Périgord, région de l'Hexagone où la gastronomie est plus qu'un art, une obsession «où l'on ne conclut rien sans que tout le monde ne passe à table», ajoute-t-il.
Un parcours chez les plus grands
D'abord cuisinier «pour de jolies maisons», son père qu'il suivait partout a rejoint la marine, où il préparait les repas à bord des navires. Autre influence majeure, sa grand-mère maternelle, également cuisinière puis cheffe d'atelier dans une entreprise de salaison. Quant au grand-père, il emmenait le petit Benoît aux champignons, à la chasse ou encore dans le jardin potager. «J'ai toujours baigné là-dedans», résume celui qui rêvait initialement de devenir pâtissier ou chocolatier.
Le désir de se lancer dans la haute gastronomie lui est venu plus tard, à l'école hôtelière de Bordeaux: «Là, j'ai vu, et j'ai compris que je voulais faire ce métier.» Son diplôme en poche, il rejoint un des restaurants de Joël Robuchon à Paris, avant de revenir à Bordeaux et enfin d'atterrir en Suisse en 2003 pour cuisiner au Mandarin oriental à Genève. C'est là qu'il rencontre sa femme Sabine, qui partage sa vie et travaille à ses côtés au Valrose. Quelques années plus tard, c'est dans la brigade de Philippe Rochat à Crissier qu'il affûte ses couteaux, avant de devenir second sous Benoît Violier, où on l'appelait «Benoît II».
«Ce qui est remarquable, c'est qu'il ne fait pas 'd'Hôtel de Ville bis' mais a su développer sa propre identité en cuisine», signale Knut Schwander. Cette identité, Benoît Carcenat la décrit comme «une cuisine de produit avant tout. Le produit doit être central, de qualité, sans aucune intransigeance possible.»
De Concarneau au Japon
Honneur est fait au local: viandes, fromages, légumes ou encore la truite viennent de petits producteurs aux environs. «J'aime utiliser des herbes ou de petits fruits de montagne», précise-t-il. Mais cela, c'est l'épreuve obligée, et chaque chef s'y plie. La personnalité de Benoît Carcenat se devine plus aisément en voyant à la carte des produits «du littoral atlantique qui lui rappellent «d'où il [je] vient [viens]»: tourteau de Concarneau et rouget de Noirmoutier y figurent en ce moment.
Mais la petite touche du chef, qui définit davantage encore son identité, vient de plus loin. Les assiettes auxquelles Benoît II donne sa bénédiction sont agrémentées d'ingrédients, d'idées et d'inspirations qu'il a glanés lors d'un long tour du monde gastronomique effectué en 2016.
Parmi les nombreuses destinations visitées, le Japon l'a le plus marqué, comme on le constate avec sa belle langoustine de casier servie avec un artichaut Camus, cacao, piment doux et sobacha, «un sarrasin torréfié typiquement japonais qu'on utilise là-bas en infusion froide. Ce sont des petites graines croustillantes qui apportent une trame très boisée, qui se marie bien avec le piment et le cacao.»
Davantage que la technique pure, Benoît Carcenat dit fonctionner à l'affect: «Quand j'utilise ces produits exotiques, je pense aux émotions et aux souvenirs qu'ils m'évoquent et c'est une manière de partager cela avec les clients.»
Pour Knut Schwander, cette touche asiatique «n'a rien d'un effet de mode, c'est le fruit d'une réflexion qui rend sa cuisine encore plus actuelle».
«Faire pousser la graine»
Comme tous les chefs au col liseré bleu-blanc-rouge, le chef est un travailleur acharné en perpétuelle quête d'amélioration: «Je me suis demandé si ces récompenses n'arrivaient pas un peu trop tôt, parce que pour moi, tout est perfectible. Mais je n'en tire pas de frustration, car c'est satisfaisant de se dire qu'on peut encore améliorer tel ou tel plat lorsqu'on le cuisinera à nouveau.»
Ne prendra-t-il pas trop la grosse tête avec tant de récompenses prestigieuses en si peu de temps? Après tout, il n'a pris les commandes des cuisines du Valrose qu'à l'été 2021, en conservant l'équipe en place. Tout cela n'a pas vraiment l'air de l'inquiéter: «Les récompenses ne sont pas une quête, mais le résultat d'un travail, celui de mon équipe dont je suis extrêmement fier. J'ai encore énormément à faire, à transmettre. J'ai planté une graine, maintenant c'est aux autres d'arroser pour que ça pousse!»