Opérations non remboursées
Attaquées sur leurs méthodes, les assurances maladie se défendent

Le directeur de l’Association Suisse d’Assurances, Urs Arbter, répond aux critiques sur le semi-privé. Retards, opacité, responsabilité de la FINMA : il défend les pratiques du secteur.
Publié: 12.04.2025 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 12.04.2025 à 09:00 heures
Urs Arbter, à la tête de l’ASA, tente d’éclaircir la position des assureurs dans un contexte très tendu.
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

La grogne monte chez les assurés depuis le 1er janvier 2025. Les assurances complémentaires de certains Vaudois et Genevois refusent de leur rembourser des opérations en clinique privée. Le père d'un petit garçon a témoigné, ainsi qu'une jeune femme, à qui l'assurance a proposé un «cadeau» pour renoncer à son hospitalisation dans une clinique privée.

Derrière ce sentiment d'injustice, une problématique complexe qui implique trois acteurs: la FINMA, gendarme des marchés financiers, les assureurs et les médecins indépendants. La première a demandé, en 2020, plus de transparence dans la facturation. Les deuxièmes estiment qu'à l'aune de cette requête, les accords tarifaires entre assureurs et médecins indépendants ont dû être revus — sans qu'un accord n'aboutisse. Enfin, les troisièmes dénoncent une pression constante pour baisser leurs tarifs.

Compte à rebours pour s'entendre

A Genève, un modèle tarifaire proposé par l'Association des médecins genevois (AMGe) a été accepté par trois assurances: Groupe Mutuel, SWICA et Assura. La CSS a rétabli les remboursements pour certains patients, traités dans certaines cliniques. Le conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet a, de son côté, accordé un délai au 15 avril pour mettre tout le monde au pas.

Dans le canton de Vaud, il y a du progrès, citent les deux parties. Mais là encore, les choses ne sont pas réglées. Et au bout de la chaîne, ce sont les assurés qui se sentent «pris en otage». Urs Arbter, directeur de l'Association suisse d'assurances (ASA), fait le point sur cet épineux problème.

Urs Arbter, pourquoi mon assurance me promet-elle le libre choix d’hôpital, si au final, elle ne me rembourse pas là où je veux me faire opérer?
Il faut distinguer deux types de contrats, celui entre l’assuré et l’assureur, qui définit des prestations comme le libre choix du médecin ou de l'hôpital, et celui entre assureurs et médecins ou cliniques, qui fixe les règles de facturation des prestations et qui doit être conforme aux exigences de l’autorité fédérale compétente, la FINMA. Si ce contrat n'est pas conforme, alors l’assureur ne peut plus continuer à rembourser l’ensemble des prestations proposées.

Je paie chaque mois pour une assurance complémentaire. Comment est-ce possible que je découvre à la dernière minute qu’elle ne couvre plus ma clinique?
Je comprends que cela puisse être frustrant, surtout lorsqu'on ne s'y attend pas. Les négociations, lorsqu'elles n'aboutissent pas, peuvent prendre fin de manière rapide. Parfois, nous n'arrivons pas à prévenir les assurés à temps. On ne peut également pas toujours anticiper si la FINMA décidera qu'un contrat n'est pas conforme. Mais ces négociations sont dans l'intérêt des assurés, à long terme, elles aident à maintenir les primes à des coûts raisonnables. Pour éviter toute surprise, nous recommandons aux assurés de s’adresser à leur assureur avant une opération, pour recevoir une confirmation de prise en charge pour les prestations prévues.

Est-ce vrai que certaines assurances proposent de l’argent pour que je renonce à mes droits? Est-ce légal?
Nous savons que cela existe, mais nous ne connaissons pas ces pratiques individuelles en détail. Si l'assureur ne peut plus payer entièrement une prestation, parce qu'il n'y a plus de convention conforme avec le prestataire, c'est une alternative possible et légale. Le client ne renonce pas à son droit, il peut l'accepter, ou non. Et si, plus tard, le client a besoin d'un autre séjour hospitalier en semi-privé ou privé et que l'assurance constate que les conditions nécessaires au remboursement sont remplies, elle le fera.

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Communiquer qu’une négociation est 'en cours' ne ferait que créer la confusion
Urs Arbter, directeur de l'ASA
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Certains patients disent avoir été mal informés, voire induits en erreur. N’y a-t-il pas un problème de transparence?
Dans la majorité des cas, les assurés sont informés des changements importants – soit par courrier, soit via les documents contractuels, soit sur demande. Mais ce n'est pas raisonnable d'informer tous les assurés qu'une négociation est en cours. Cela concerne beaucoup de personnes, et communiquer qu’une négociation est «en cours» ne ferait que créer la confusion. Il faudrait ensuite informer tout le monde que la négociation a échoué, ou partiellement réussi, ou est un succès. Ceci induirait des complications inutiles. C'est pour cela qu'il est important que l’assuré demande une confirmation de prise en charge avant l'opération.

Qui décide vraiment de ce qui est remboursé ou non: la FINMA, les assurances, ou un autre acteur?
C’est une combinaison de plusieurs éléments. Le contrat d’assurance définit les prestations couvertes, mais pour pouvoir rembourser, l’assureur doit avoir une convention valide avec la clinique et les médecins – et cette convention doit être conforme aux règles. La FINMA ne décide pas de ce qui est remboursé, mais fixe le cadre légal sur lequel les assureurs se basent pour travailler. S'ils ne le respectent pas, ils s'exposent à des sanctions sévères.

Lesquelles?
La FINMA dispose d'outils d'enforcement. Elle peut forcer ainsi un assureur à redéfinir ses contrats et, surtout, annonce publiquement qu'elle a pris une décision d'enforcement à son égard. C'est un problème de réputation. Par ailleurs, elle peut refuser d'accepter les nouveaux produits proposés par des assureurs, les empêchant ainsi de les mettre en vente.

Ailleurs en Suisse, le problème n’existe pas. Qu’est-ce qui est si compliqué dans les cantons de Genève et Vaud?
C’est vrai qu’ailleurs, de nombreuses conventions ont été conclues sur la base de modèles tarifaires transparents. C’est en 2021 que l’ASA a publié les grandes lignes sectorielles sur les prestations relevant des assurances complémentaires afin d’améliorer la transparence et la lisibilité dans la facturation. On s’est mis d’accord avec la FINMA une période de transition de trois ans, jusqu’au 31 décembre 2024. Si toutes les parties s’engagent de manière constructive, c’est possible. Il faut faire preuve de créativité et de dialogue. En plus, nous n'avons pas besoin d'un modèle unique accepté par tous les prestataires d'un canton. Il y en a parfois plusieurs, cela varie selon les régions. 

La situation est-elle en passe de se régler?
Dans le canton de Vaud, on sent un peu plus de flexibilité et de volonté de trouver une solution, en dehors de celle proposée par la Société vaudoise de médecine. A Genève, les assureurs sont d'accord pour accepter le modèle de l'AMGe, si ses conditions sont conformes aux exigences de la FINMA. Il y a des progrès. Il y a encore du travail, mais les négociations sont en cours — et il n’y a pas de temps à perdre, puisque la situation aurait dû être réglée au 1er janvier.

Est-ce que les assurances essaient de faire des économies en poussant tout le monde vers les hôpitaux publics, même si ça risque de les surcharger?
Non, ce n’est pas le but. Ce que les assureurs veulent, c’est que les prestations soient remboursées sur la base de conventions claires, transparentes et conformes. Nous devons travailler le plus vite possible pour trouver un système tarifaire adéquat et avoir des contrats valides. Chacun doit pouvoir accéder aux prestations selon son contrat d’assurance.

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Dire que nous diabolisons les médecins, c'est absurde
Urs Arbter, directeur de la faîtière des assurances suisses
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Les médecins disent être diabolisés par les assurances. Est-ce vrai qu’ils sont traités comme des ennemis?
Nous ne travaillons pas comme ça. Les médecins jouent un rôle central dans le système de santé, ce sont eux qui apportent la valeur médicale. On ne peut pas accepter qu'il soit dit que nous diabolisons les médecins, ça serait même absurde. Il est parfois arrivé que des erreurs de communication et des malentendus se soient produits, mais nous respectons les médecins, nous ne mettons pas en cause des personnes, mais des modèles de facturation non conformes. Nous devons avancer ensemble. 

Est-ce qu’il existe encore une vraie solidarité entre les caisses ou chacune fait sa stratégie dans son coin?
Il y a une diversité de stratégies, ce n’est pas seulement sain, mais nécessaire pour maintenir les prix les plus bas. Cette diversité est exigée par la Loi sur les cartels: les assurances n'ont pas le droit de se concerter sur les prix ou les modèles économiques. A Genève, certains assureurs ont préféré conclure un accord rapidement, en acceptant des modèles tarifaires refusés par d'autres. L'ASA coordonne des critères de base ou minimaux, mais ne peut et ne veut pas obliger ses membres à adopter le même modèle. Il est d'ailleurs souhaitable que les assureurs choisissent différents modèles tarifaires.

Peut-on encore faire confiance à une assurance complémentaire aujourd’hui, ou vaut-il mieux y renoncer?
L'assurance complémentaire reste un pilier indispensable du système de santé suisse. Elle permet le choix du spécialiste et de l'hôpital, ainsi qu'un plus grand confort. En cela, elle reste une partie importante du système. Les tensions ne concernent que certaines régions particulières. Si l'on compare avec d'autres pays, le jeu commun de la base et de la complémentaire fonctionne très bien. C'est aussi pour cela que nous nous engageons pour la transparence. Pour que la clientèle comprenne ce qu’elle achète et ce qu’elle reçoit.

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