Le masculinisme prend une ampleur alarmante en Suisse. Porté par des groupes organisés et financés, ce mouvement s'attaque aux acquis en matière d'égalité. Pourtant, le Conseil fédéral ne compte prendre aucune mesure concrète. Face aux risques pour l’ensemble de la société que cette idéologie véhicule, cette inaction interroge.
Ce samedi 8 mars, des milliers de personnes ont défilé dans toute la Suisse pour défendre les droits et les libertés des femmes. Sur les pancartes, on a pu voir de nombreuses références à une actualité internationale qui voit ressurgir des figures violentes, autoritaristes, dominatrices et toujours masculinistes.
La rhétorique masculiniste consiste à essentialiser les différences entre les femmes et les hommes, à valoriser une répartition des rôles traditionnelle, à nier l'existence du patriarcat, à dénoncer une domination des hommes par les femmes, à diminuer le caractère systémique des violences conjugales... on continue?
Ces dernières semaines, on a aussi vu fleurir sur les réseaux sociaux des phrases comme «ton corps, mon choix» à propos du droit à l’avortement. Le masculinisme a également des formes de violence extrême, notamment avec des attaques organisées ou des attentats. Et ces mouvements, ils existent aussi en Suisse.
Etats-Unis, berceau de la virilité
Dans un rapport de Männer.ch, la faîtière des organisations suisses des hommes et des pères, on peut lire que «les combats culturels qui y sont associés au mouvement masculiniste représentent désormais dans de nombreux pays une menace sérieuse pour la démocratie, l’État de droit et la cohésion sociale.» En effet, en plus de revendiquer une position des hommes supérieure aux femmes, le masculinisme glorifie la solidarité entre agresseurs.
Un exemple récent: Donald Trump a fait pression sur le gouvernement roumain pour permettre la fuite en Floride des influenceurs Andrew et Tristan Tate, accusés d’agression sexuelle et de traite d’être humain. Le mépris pour l’État de droit au bénéfice de la loi du plus fort est ici évident. En plus d’être dangereux pour chacun des individus méprisés par ces hommes, cette idéologie met donc bien en péril les fondements de nos sociétés démocratiques.
Ce sont les jeunes qui sont particulièrement vulnérables aux discours masculinistes, et les barons de la tech l’ont bien compris: utilisant leurs plateformes pour toucher une audience jeune, ils contournent ainsi les médias traditionnels et évitent depuis peu le fact-checking pour renforcer leur influence. La masculinité devient sur ces territoires numériques un vecteur de pouvoir, étroitement connecté à la richesse et à une certaine présence médiatique.
Ces discours encouragent ainsi les très jeunes hommes à adhérer à des normes réactionnaires de virilité, les incitant à adopter des comportements violents et à privilégier des régimes politiques autoritaires, qui favorisent les ultra-riches qui souhaitent dominer le monde politique pour créer un cadre légal et économique (encore plus) favorable à leurs affaires.
Que fait la Suisse?
Alors que des pays, comme le Luxembourg ou l'Autriche, prennent le taureau viril par les cornes, la Confédération laisse cette question aux cantons et aux communes, sans coordination nationale et sans volonté d’en faire plus. Si le second Plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent mentionne pour la première fois le terme «masculinisme», il n’en propose toutefois pas de définition claire et ne fournit aucun outil concret pour lutter contre sa diffusion.
En septembre 2024, j’avais interpellé le Conseil fédéral concernant l’essor inquiétant du mouvement masculiniste en Suisse. Avec mon collègue socialiste Cédric Wermuth qui a également réalisé un dépôt à ce sujet, nous avons relevé le manque de données précises concernant la diffusion de ces idéologies et le manque de volonté du gouvernement à renforcer la prévention.
Qui plus est, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter qualifie, dans des propos qui ont choqué, les attaques autoritaires de Trump et J.D. Vance envers l’Europe de «très suisse». Face à la montée en puissance des mouvements masculinistes, plutôt que cette complaisance, une réponse nationale coordonnée et volontaire devient impérative.
Nous ne nous inclinons pas!
Le Conseil fédéral et les administrations publiques de tous les étages ont une responsabilité forte par rapport à ce phénomène. Il faut renforcer en urgence la prévention, notamment par la sensibilisation des parents, des administrations et des institutions éducatives, mais aussi en dotant les services spécialisés et les établissements pédagogiques d'outils de détection et d'intervention précoces.
Mais que pouvons-nous faire individuellement? Interrogée par la RTS, Stéphanie Lachat, codirectrice du Bureau fédéral de l'égalité: «Quelle est la société que nous voulons?» Chaque individu a la possibilité de s’opposer à la banalisation de ces discours attaquant les droits des femmes et des minorités de genre ou normalisant la violence et le mépris du droit. Nous pouvons toutes et tous voter en conscience, et nous engager auprès des organisations en faveur des droits humains. Personne n’est assez privilégié pour échapper à l’autoritarisme lorsqu’il s’installe.