Depuis quelques années, la Veggie Week (dont la prochaine édition aura lieu du 1er au 16 juin prochains), durant laquelle les meilleurs chefs genevois s’astreignent à proposer des menus gastronomiques qui mettent en avant le végétal, tente de concilier gastronomie et végétarisme… une semaine par an. Plus de 30 ans après l'apparition des premiers étoilés Michelin végétariens, les grandes tables ont encore du mal à s'affranchir de la viande et du poisson.
Les clients aussi. Un tel menu dans un restaurant gastronomique, ça a le goût de légumes, certes, mais aussi, lorsqu'on n'est pas végétarien, de renoncement. Il y a beau avoir d'alléchants intitulés légumiers, on tergiverse. Ce sera assez bon? Serai-je surprise, rassasiée? Et, last but not least, vais-je en avoir pour mon argent? Car bien souvent, faire une croix sur les onéreux produits animaux ne fait pas baisser le prix du menu…
«Il y avait une demande»
Pour discuter de la question, je suis allée rendre visite à Patrice Vander, chef du restaurant étoilé Les Fresques à l’Hôtel Royal d'Evian. Sur les hauteurs de la ville, cet écrin de verdure, d’arbres, et de prairies, avec vue plongeante sur le lac, fait de la nature une reine. En contrebas de l'hôtel, un potager taillé au cordeau regorge de légumes, de fruits et d’herbes aromatiques.
De quoi constituer la base idéale d’un menu que le chef a commencé à proposer il y a tout juste un an: «Il est vrai qu’il y avait une demande. Et cela allait totalement dans le sens de notre volonté de cuisine durable, orientée vers les petits producteurs de proximité. Grâce à notre beau jardin, on peut sublimer notre cuisine de palace contemporaine, lui insuffler encore plus de fraîcheur.»
Une fraîcheur que l’on retrouve dans son menu en cinq services (85 euros). Celui proposé en ce mois de mai met en lumière tous ces bons produits, asperges, petits pois, fraises et rhubarbes, qui redonnent un coup de pep's à nos assiettes. Mais cela, c'est plus facile quand les beaux produits ensoleillés arrivent, non? « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ça n’est pas plus difficile d’imaginer un menu essentiellement constitué de légumes en hiver. Les courges, les pommes de terre, les patates douces, les pommes, les poires se prêtent à bien des recettes», explique le chef, qu’un tour dans son potager suffit à inspirer.
Mosaïque de petits légumes
Dans ce menu donc, après un amuse-bouche qui mêlait astucieusement l’asperge et la fraise pochées, (l’accord est à retenir), la première assiette ô combien printanière fait son entrée sur la table. Sobrement intitulée «légumes de printemps», et tout à fait dans l’esprit d’un gargouillou de jeunes légumes - une recette historique de Michel Bras - elle décline une mosaïque de petits légumes, carottes nouvelles et multicolores, radis, asperges et petits pois cuits à l’anglaise et accompagnés d’un cube de chèvre frais, d’aneth et d’une délicate huile infusée au mimosa qui ajoute un agréable côté floral à l’ensemble. C’est croquant et gourmand à souhait!
Vient ensuite une deuxième assiette, assez proche visuellement, dans laquelle la carotte se décline en couleurs et en textures, nature, purée et sorbet accompagnée d’un condiment à l’ail noir, comme un aïoli qui aurait ajouté le mot subtilité à sa palette gustative. Un plat fondant et délicat.
En guise de premier plat principal, le risotto d’épeautre roboratif vient apporter du corps à ce menu. À la rusticité de la céréale, se mesure toute la délicatesse de quelques pois frais et d’un sabayon à l’estragon qui apporte une touche crémeuse bienvenue à l’ensemble.
Quelle viande?
Le chapitre quatre invite une fois de plus l’asperge – c’est la pleine saison et elle est courte – et la propose en différentes textures, infusée au pollen et rehaussée de citron et d’une aérienne émulsion végétale.
En guise de point final, et à la suite d’un petit riz soufflé au lait, décidément la douceur à la mode, le dessert s’articule autour de la pomme verte servie dans un écrin de meringue immaculé. Le fruit y est décliné en compote et en jus et relevé d’aneth pour un épilogue éclatant de fraîcheur qui sublime la pomme, dont on a parfois tendance à se lasser en attendant les fruits d’été.
Cette escapade végétale, tout en subtilité, dont on ressort séduit, repu et heureux, met le printemps dans l’assiette alors même qu’il se fait attendre. Et la viande? Quelle viande?
Hôtel Royal
960 Av. du Léman, Evian-Les-Bains