Marre des steaks mal cuits?
L'art de la «cuisson inversée», ou comment cuire son steak à la perfection

Il est temps de régler ce problème que bien des viandards n'osent avouer: la cuisson de leurs steaks est aléatoire et manque de rigueur. Heureusement, une méthode existe pour en finir avec cette insupportable situation. Voici notre guide du steak ultime.
Publié: 20.06.2024 à 11:25 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2024 à 16:32 heures
Fini les steaks mal cuits!
Photo: Fabien Goubet
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Fabien GoubetJournaliste Blick

«On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur». J’ai beau être fan des aphorismes de Brillat-Savarin, il aurait franchement mieux fait de se taire quand il a énoncé celui-ci. Bien évidemment que l’on peut devenir expert dans l’art de la cuisson des viandes, et même que ce n’est pas si compliqué.

Il est vrai qu’une belle côte de bœuf, un élégant filet, ou plus généralement tout bon gros steak épais de plus de trois ou quatre centimètres ont de quoi impressionner l’impétrant qui vient de laisser son troisième pilier à son boucher. Il ne sait pas très bien comment s'y prendre, mais est certain d'une chose: il veut se régaler, planter ses canines dans une belle croûte rugueuse et appétissante, merveilleux résultat de la réaction de Maillard, avant de les enfoncer plus profondément dans une chair uniformément cuite d’un bout à l’autre du morceau.

Un steak oui, mais sear

Le ou la néophyte demandera certainement conseil à son boucher ou à Google, et ce qu'on lui répondra en premier lieu sera de saisir la viande crue puis de terminer la cuisson au four - ce que l'on appellera la cuisson directe - avec une indication approximative de temps, voire quelques astuces qui relèvent davantage de la mythologie viandarde que de la rigueur technique nécessaire à une telle opération.

Cette méthode communément employée peut certes fonctionner, mais elle est bien trop hasardeuse, la faute à une absence de contrôle de la température. Résultat, notre amateur se retrouvera bien souvent avec un patchwork de cuissons différentes (trop cuit à l’extérieur, cru à cœur), voire un ratage total. Et s'il s’en sort avec les honneurs, cela tiendra davantage à la chance, sans aucune assurance de reproduire le même résultat la fois suivante.

Secret de Polichinelle

Cela, je vous l'assure, bien des rôtisseurs autoproclamés - voire des bouchers - n’osent l’avouer. C'est un secret de Polichinelle: les steaks mal cuits, c'est comme les vacances sous la pluie ou les varices, on ne les poste pas sur les réseaux sociaux. J'en sais quelque chose, puisque j'ai moi-même subi les affres de cette cuisson au petit bonheur la chance. Mais réjouissez-vous, mes fidèles viandardes et viandards: la cuisson inversée est venue mettre fin à cet insoutenable caractère aléatoire et vous assurer une cuisson conforme à vos attentes, et ce à chaque fois.

La cuisson inversée, ou reverse searing, est une technique ancienne. Dans son livre «Franklin Steak», le chef texan Aaron Franklin, qui possède l’un des restaurants de barbecue les plus cotés au monde, explique ainsi que dans le nord de l'Espagne, on ne parlerait certainement pas de cuisson inversée mais plutôt de «c'est comme ça qu'on a toujours cuit nos steaks». Cette méthode a toutefois connu une grande popularité ces quinze à vingt dernières années.

Rapidement résumée, elle consiste à cuire la viande avec un chaleur douce, jusqu’à atteindre une certaine température à cœur, puis à la saisir pendant quelques secondes. Autrement dit, c'est l’inverse de la cuisson directe précédemment évoquée, d’où son nom de cuisson «inversée».

Make steaks great again!

Les avantages du reverse sear sont multiples. D’abord, la température de la viande est contrôlée au degré près, ce qui permet même à un débutant d’obtenir d’excellents résultats dès les premiers essais, et de garantir leur reproductibilité à chaque cuisson.

À basse température, la surface du steak s'assèche légèrement, ce qui permet une meilleure réaction de Maillard lors de la saisie et donc d'obtenir une belle croûte plus rapidement, sans que la chaleur ne se propage trop en profondeur.

Cette méthode est en outre plus respectueuse du produit. En chauffant doucement le steak, sa chair est cuite de manière identique dans toutes les parties du morceau, et elle est aussi plus tendre. «La cuisson lente permet aux enzymes naturellement présentes dans le steak de dégrader une partie des fibres musculaires, résultant en une formidable texture soyeuse», écrit Aaron Franklin.

Ce n'est pas tout, car une chaleur douce retient tous les jus à l’intérieur, pour une chair plus savoureuse. A contrario, saisir une viande crue a pour effet de libérer dans la poêle les liquides qui finissent brûlés (voire perdus à jamais lorsqu’ils tombent sur les braises, dans le cas d’une cuisson sur le gril).

Du côté des inconvénients, car il y en a, il faut reconnaître que c'est beaucoup plus long que de simplement faire chauffer sa poêle. Mais votre steak hors de prix et votre palais raffiné méritent une telle attente.

Notons enfin que si la plupart des grilleurs avisés opteront pour une cuisson saignante, il est tout à fait possible d’utiliser le reverse sear pour une cuisson «bleu» ou «à point», si tel est votre goût (voire «bien cuit», mais dans ce cas, vous n’aimez vraiment pas la viande alors vous vous fichez probablement de ce que je vous raconte).

Photo: Fabien Goubet

Vous l'aurez compris, opter pour le reverse searing, c’est choisir «la méthode la plus fiable et la plus pratique pour cuire un steak épais à la perfection», assure l'honorable Aaron Franklin. Prêt à laisser derrière vous le purgatoire des steaks mal cuits? Je vous explique tout.

Le matériel

Vous aurez besoin d'une sonde permettant de mesurer la température de votre steak. Ça, c’est pas négociable, désolé. Pourquoi? Parce qu'on ne peut pas, je répète, on ne peut pas évaluer la température à cœur au degré près.

Bien sûr, un ami ou oncle outrecuidant vous parlera certainement de grigris stupides tels que celui consistant à toucher la paume de sa main pour évaluer la température. D'un steak. Dans une poêle. Ignorez cet inopportun: comment pourrait-il différencier un steak à 40, 45 ou 50 degrés à coeur?

Avec ce type de thermomètre à double sonde vendu une vingtaine de francs, vous serez un pro du steak et du barbecue.
Photo: Fabien Goubet

Rendez-vous service, achetez donc une sonde électronique, de préférence un modèle supportant la chaleur (c’est-à-dire pas un de ces thermomètres à lecture instantanée en forme de stylo, prévus pour d’autres utilisations). Il y en a de très fiables pour une vingtaine de francs. Vu le prix du bœuf, c’est une assurance somme toute bon marché.

Vous aurez également besoin d’une plaque ou d’un grand plat, et surtout d’une grille de type grille de pâtissier. Ça non plus, ce n’est pas négociable. Poser votre côte de bœuf directement sur la plaque aurait pour effet de cuire sa face inférieure, comme si vous la placiez dans une poêle. Grave erreur.

Sans être absolument indispensable, une pince sera pratique pour manipuler la pièce durant la saisie.

Enfin, il vous faudra une poêle, je préfère la fonte, mais l'acier ou les poêles anti-adhésives feront parfaitement l'affaire. Et bien sûr un four, ou un gril avec couvercle. Pour les débutants, un four est bien plus facile à maîtriser qu’un barbecue, aussi poursuivrai-je les explications en supposant ce cas de figure.

Les ingrédients

Comme évoqué précédemment, le reverse sear est le plus approprié pour les pièces de bœuf les plus épaisses: côtes, filets, T-bones, entrecôtes XXL, etc. N’hésitez pas à demander des morceaux très épais à votre boucher (4-5 centimètres minimum). Il vous le déconseillera sans doute, mais ne prêtez pas attention à ses mises en garde prophétiques. La science est de votre côté, vous contrôlez la situation.

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Aucun problème pour cuire une côte aussi épaisse en cuisson inversée. 

Enfin, prévoyez du sel pour l’assaisonnement. Le poivre ne sera ajouté qu’au moment de servir, fraîchement moulu (celui-ci pouvant donner un goût âcre lorsqu’il est cuit).

Les étapes

1. Avant

La veille, ou l’avant-veille, tout au moins au grand minimum quatre heures avant de passer à table, assaisonnez la viande. Allez-y franchement. Mais vraiment franchement: saupoudrez toutes les faces, et lorsque vous pensez en avoir mis suffisamment, ajoutez-en encore un peu plus. Il faut compter environ 1% du poids du steak (donc 10 grammes de sel pour 1 kg). Massez la surface délicatement pour faire pénétrer. Puis remettez la pièce au frais, sans la couvrir.

Cette étape n’est pas là tant pour donner du goût que pour préparer la viande: le sel va pénétrer la chair et en extraire de l'humidité, avant d'être réabsorbé d'autant plus profondément que vous lui laissez du temps. Un bon salage et de la patience sont la garantie d'une steak ultra-juteux et d'une croûte bien croustillante: ne négligez donc pas cette étape!

2. Précuisson

Le jour J, faites préchauffez votre four à 100° au moins une heure avant de manger. Vous pouvez régler la température entre 80° et 120°, mais je trouve que 100° est un juste milieu entre la douceur de la cuisson et le temps d'attente. Si vous avez vraiment le temps, essayez 80° pour un résultat encore meilleur, ça vaut la peine.

Une fois la température du four atteinte, sortez votre viande du frigo, déposez-la sur la grille et placez le tout au-dessus d’une plaque ou du plat, pour recueillir les inévitables gouttes qui tomberont. Placez votre sonde horizontalement, la pointe devant atteindre le coeur du steak, puis enfournez.

Dans le four, un plat, une grille, la sonde plantée à coeur: voilà tout ce dont vous aurez besoin pour briller.
Photo: Fabien Goubet

Pour une viande saignante et bien rosée, visez 45° à cœur. Cela peut prendre entre 30 minutes et plus d’une heure, selon la taille et la température du four sélectionnée. Dès que les 45° sont atteints, sortez immédiatement la viande et laissez-la reposer environ 20 à 45 minutes (voire davantage pour les pièces gargantuesques). À ce stade, elle n'est pas super sexy, mais ne vous inquiétez pas. Ne l’emballez pas dans de l’aluminium, comme on peut souvent le lire. Elle va doucement grimper vers les 50°, la température idéale pour la servir saignante.

Cuisson

Pendant ce temps, faites chauffer une poêle en mode total inferno, soit le plus chaud possible. Puis, quand la viande a suffisamment reposé, arrosez-la d’une dose d’huile sur toutes ses faces, et enduisez-la avec vos doigts ou bien à l’aide d’un pinceau. Évitez l’huile d’olive, qui brûlerait avec une telle chaleur, et privilégiez une huile de type colza, arachide ou tournesol, dont les points de fumée (le seuil de température au-delà duquel elles commencent à se dégrader et à brûler) sont plus élevés.

Photo: Fabien Goubet

À l’aide d’une pince, saisissez la viande sur chaque face, de 30 secondes à 1 minute environ par face, en la tournant souvent. Inutile de faire traîner les choses: cette étape sert principalement à lui donner une belle croûte foncée et croustillante, et non à la cuire. À ce stade, la cuisson est de toute façon achevée.

C’est prêt. Pas besoin de l’envelopper ou de la laisser reposer plus d'une minute ou deux: elle est prête à être défoncée, pardon, dégustée. Aiguisez votre meilleur couteau et découpez de belles tranches, en prenant soin de couper perpendiculairement au sens des fibres. Saupoudrez les tranches d’un peu de fleur de sel, et de poivre noir fraîchement moulu.

Si vous avez respecté ces étapes, vous remarquerez plusieurs choses. La viande est juteuse, puisque les jus sont restés dedans. La croûte est belle, et fine: à peine quelques millimètres, avec une nette transition entre celle-ci et la partie rosée.

Après un «reverse sear» bien maîtrisé, on obtient une croûte foncée et très fine, et toute l'épaisseur du steak est cuite de manière homogène.
Photo: Fabien Goubet

En appliquant cette méthode à l’avenir, vous aurez l’assurance d’obtenir toujours le même résultat. Selon votre matériel, votre type de feu, et la manière dont vous voulez manger votre steak, quelques petits ajustements seront peut-être nécessaires. C'est du «try and error», autrement dit il faut y aller à tâtons. Mais ne vous inquiétez pas, avec ce tuto, vous obtiendrez un steak mémorable. La règle de base pour la pré-cuisson est de viser environ 5 à 6 degrés de moins que la température finale. Autrement résumé, visez 45° pour obtenir un steak saignant à 50°, et 50° pour une cuisson à point à 55°.

Note pour le barbecue

Le reverse sear est parfaitement possible sur un gril, à condition de bien maîtriser son fonctionnement. La phase de cuisson à basse température doit être réalisée en chaleur indirecte, c’est-à-dire pas au-dessus des braises, et à couvert. Vous pouvez mettre quelques morceaux de bois de fumage sur celles-ci pour parfumer votre viande: là, ça devient carrément une touche de pro.

Ici, un thermomètre à deux sondes est précieux: vous pouvez mettre une sonde dans la viande, et l'autre au niveau de la grille pour contrôler la chaleur. Un couvercle est indispensable: impossible de contrôler la température de pré-cuisson à l'air libre.

Sur un gril, la technique est identique mais il faut s'assurer de parfaitement contrôler ses températures.

Pour la saisie, ajoutez une bonne quantité de charbon pendant que la viande repose, même s'il en reste. Laissez-le rougir complètement, et lorsque la température est vraiment élevée (plus de 300°), saisissez la viande, en chaleur directe cette fois, autrement dit au-dessus des braises. J'utilise une poêle en fonte, pour obtenir une croûte homogène sur toute la surface. Cuire directement sur la grille, c'est bien gentil, vous aurez peut-être de jolies marques, mais vous passerez à côté de cette gourmandise qu'est la croûte, ce qui serait couillon, avouez-le.

Ce guide touche à sa fin, j'espère que vous vous régalerez. Bienvenue dans le reste de votre vie, une vie remplie de délicieux steaks parfaits!

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