Avec seulement trois ingrédients, c'est sans doute l'une des recettes de pâtes les plus simples…mais aussi les plus compliquées à la fois. Les pasta cacio e pepe, renommées tout simplement «cacio e pepe» («fromage et poivre») en français, ce sont de longues pâtes impeccablement imprégnées d'une «crème» de pecorino et lourdement assaisonnées de poivre noir.
J'ai écrit «crème», mais vous pouvez la remballer, de même que l'huile, le beurre, et tout le reste: seule cette trinité pâtes, fromage et poivre, permet d'obtenir un magnifique nid de spaghettis crémeux, d'un blanc immaculé. Une recette de pâtes crémeuses, mais sans crème: si ça vous rappelle la carbonara, ce n'est pas un hasard.
Le cacio e pepe n'a pas l'air bien compliqué. Sauf que sous-estimer la difficulté de cette recette conduit souvent à de cuisants échecs. Pour ne plus se louper, voici un petit guide qui vous permettra de comprendre et de réussir ce plat si réconfortant.
L'histoire du cacio e pepe
Contrairement à la bolognaise ou à la carbonara, les origines du cacio e pepe sont plus claires. La recette est en quelque sorte l'une des ancêtres de la carbonara. Si les pâtes agrémentées de fromage remontent au Moyen-Âge, l'adjonction de poivre est beaucoup plus tardive. Cette épice a longtemps été un luxe, et ce n'est que vers les XVIIIe et XIXe siècle que le peuple put s'en procurer, son prix s'étant effondré avec le développement du commerce maritime.
Dans son livre «La véritable histoire des pâtes», l'historien italien Luca Cesari relate le témoignage d'un médecin de la région de Sienne en 1830. Ses patients les plus pauvres, qui n'ont «ni les moyens de se payer du pain, et encore moins des pâtes», se nourrissent exclusivement «de polenta qu'ils agrémentent de cacio e pepe» - autrement dit de pecorino et de poivre.
Pour l'historien, il s'agit donc d'une «non-recette», un assaisonnement très répandu dans tout le pays, même dans les couches les plus basses de la société. A tel point qu'il ne figure dans aucun livre de recette avant 1930, lorsqu'il apparaît dans un guide gastronomique du Touring Club Italiano, qui la présente comme une spécialité culinaire de la région de Rome. Aujourd'hui, les pasta cacio e pepe sont toujours indissociables de la Ville éternelle.
Plus récemment, le chef triplement étoilé Massimo Bottura a fait exploser la popularité du cacio e pepe en incitant le public à acheter du parmesan dont 400'000 meules avaient été endommagées lors d'un tremblement de terre à Modène en 2012. Pour ce faire, il avait mis au point un «risotto cacio e pepe», variante avec du riz et du parmesan. La même année, puis encore en 2022, le cacio e pepe a été désigné «plat de pâtes de l'année» par le prestigieux magazine culinaire Gambero Rosso.
La chaleur, le piège du cacio e pepe
Revenons à nos pasta cacio e pepe. Si vous regardez un expert les préparer, vous allez certainement trouver la manipulation d'une simplicité enfantine. Faire cuire des pâtes. Assaisonner avec du fromage râpé et du poivre. Comment peut-on se planter? Mais comme souvent en cuisine, la simplicité, c'est ce qu'il y a de plus compliqué.
Si vous n'avez jamais essayé, vous allez probablement vous retrouver avec une sauce aqueuse (si l'eau est trop froide) ou d'énormes pépites de fromage agglutiné (si c'est trop chaud). Dans les deux cas, le résultat n'aura rien à voir avec l'émulsion recherchée.
Pourquoi c'est si compliqué? Tout comme le parmesan, le pecorino est un fromage à pâte très dure. Il contient moins d'eau que ceux à pâte souple, et ses protéines sont plus compactes. Chauffez-le un peu trop fort, ou trop rapidement, et les protéines vont adhérer entre elles, formant d'horribles boules dures et irrattrapables. Vous l'aurez compris, une grande partie du succès de la recette repose sur le contrôle de la température et la qualité des ingrédients.
Quels ingrédients pour le cacio et pepe?
Ça, ça va aller vite. Les pâtes traditionnellement utilisées dans le cacio e pepe sont les spaghettis, ou les tonnarellis (des spaghettis de section carrée). Préférez les premiers: les tonnarrellis étant des pâtes aux œufs, elles ont une consistance qui absorbe un peu trop généreusement la crème de pecorino. Moi, j'aime bien utiliser des bucatinis, de gros spaghettis avec un trou qui piège parfaitement la sauce.
Les deux seules règles sont de prendre de longues pâtes, idéalement l'une des trois citées, et de la meilleure qualité possible. Des pâtes tréfilées au bronze auront une texture plus granuleuse qui accrochera bien mieux la crème de pecorino, comparé à des pâtes bas de gamme.
Choisissez un beau pecorino, avec l'Appellation d'origine contrôlée (Pecorino Romano AOP). Si son allure est friable et granuleuse, c'est bon signe.
Ne négligez pas le poivre non plus. Les poivres de base ont traîné des mois (si ce n'est davantage) dans des cales de navire, et sont d'une qualité insuffisante pour ce genre de recette. Investir dans du poivre de qualité fait d'autant plus sens qu'on se sert de cette épice dans toutes les recettes. Et puisqu'il ne faut que trois ingrédients, on peut se permettre de payer un peu plus leur qualité, non?
Comment réussir le cacio e pepe?
Il existe différentes méthodes, mais toutes restent assez similaires. Après une douzaine d'essais, voici celle qui m'a paru la plus facile, et surtout la plus reproductible. Comme pour la cuisson du steak parfait, le but de ce guide n'est pas de réussir un cacio e pepe, mais d'y arriver à chaque fois.
Pour obtenir cette magnifique texture crémeuse, il faut un maximum d'amidon dans l'eau de cuisson des pâtes. Pour cette raison, il vaut mieux les cuire dans une sauteuse peu profonde, avec le minimum d'eau, ce qui permet de concentrer l'amidon. Faites cuire les pâtes deux minutes de moins que le temps indiqué sur le paquet. Ne faites jamais plus de 4 portions (320 grammes de pâtes sèches). Cette recette subtile ne se prête pas à de grandes quantités. Les instructions qui suivent valent pour une personne.
Pendant ce temps, concassez le poivre noir (environ une demi à une cuillère à soupe, selon le poivre et vos goûts) à l'aide d'un mortier et d'un pilon ou, à défaut, utilisez le réglage le plus grossier de votre moulin. Une grosse mouture donne de meilleurs arômes et limite la puissance de la pipérine, la molécule responsable du piquant. Faites chauffer les grains à sec, dans une grande poêle ou une sauteuse à feu moyen, juste à côté des pâtes.
Au bout de quelques minutes, lorsqu'une puissante et délicieuse odeur de poivre fumé se dégage, versez une à deux louches d'eau de cuisson des pâtes, et passez à feu doux, pour laisser infuser le poivre.
Pendant ce temps, râpez le plus finement possible environ 75 grammes de pecorino dans un grand plat. C'est un aspect très important: il faut essayer de s'approcher d'une texture de poudre, et éviter les filaments, beaucoup trop gros pour cette recette. Le pecorino vendu déjà râpé a une consistance idéale, mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous.
Lorsque les pâtes sont prêtes, ne les égouttez pas: transvasez-les directement dans la poêle contenant le poivre, avec éventuellement une demi-louche d'eau de cuisson, si l'infusion au poivre s'est un peu trop évaporée. Coupez immédiatement le feu, mélangez bien pour imprégner les pâtes des arômes de poivre, et posez tout de suite la poêle sur une surface à température ambiante. À ce stade, n'ajoutez pas encore le pecorino: ce serait trop chaud. Attendez environ 2 minutes pour descendre en dessous des 60 °C, le pécorino coagulant au-dessus de cette température.
Pendant ce temps, versez une demi-louche d'eau de cuisson sur le pecorino, et mélangez énergiquement avec un fouet ou une cuillère de manière à obtenir une crème.
À partir de là, plusieurs options sont possibles. Certains versent la crème dans la poêle. D'autres font l'inverse, et préfèrent mettre les pâtes dans la crème. D'autres encore ajoutent le pecorino râpé, sans eau, dans la poêle. J'ai tout essayé, et les trois méthodes se valent. Essayez les trois et gardez celle qui vous convient le mieux. Dans tous les cas, mélangez énergiquement les pâtes en touillant et en remuant la poêle ou le plat.
Cette étape n'est pas difficile, mais elle demande un peu d'expérience pour parvenir à la température parfaite, ni trop froide ni trop chaude. C'est toute la difficulté de cette recette! Avec un peu de patience et de persévérance, vous y arriverez rapidement, et si vous échouez, ce sera bon quand même. Terminez le dressage avec la crème restante, si vous en avez, du pecorino râpé, et un peu plus de poivre fraîchement moulu.
Servez rapidement dans des assiettes chaudes. Et avant de servir, aspirez une ou deux bouchées de spaghettis directement depuis le plat. Ce sont les meilleures, et de loin.