Envie de se détendre au Tessin? Le canton possède des joyaux touristiques tels que Locarno ou Ascona. Mais il y a un hic. Assaillis par des hordes de Suisses allemands durant la période estivale, accueillis par du personnel germanophone parlant à peine l’Italien dans des allées embaumées de géraniums et de tulipes, la Riviera tessinoise perd de son charme. «Ja… schöne Tessine, schöööne!»
Pour qui désire découvrir la région, les rêves d’authenticité et de dépaysement s’échouent tels les vacanciers sur la Piazza Grande de Locarno, se bourrant de pizzas Hawaï dans un restaurant sans âme.
Le Ticino, c'est notre côte d'Azur à nous
Malgré tout on l’aime, ce Ticino, parce que c’est le sud des Alpes, notre Sud, notre Côte d’Azur à nous, le béton en moins. Le Tessin, ce sont ses maisons aux stores baissés et aux carrelages rafraîchissants, sans oublier ses bidets dans les salles de bain. Cette région a des lieux magiques à nous révéler - et pas que des salles de bain.
Prenons ici, ce qui semble être «le» symbole authentique, rustique et convivial du Tessin (et des Grisons italophones): les grottos, ces maisons de pierres typiques où l’on peut siroter une gazosa en toute quiétude – sans passer pour un bobo du quartier sous-gare de Lausanne – à l’ombre des marronniers…
Avec la pandémie, les habitants du nord des Alpes ont exprimé, peut-être de gré, le désir de redécouvrir leur pays, en quête d’authenticité. Et avec le grotto, on est servis! On y parle en dialecte. C’est rustique, les tables sont en pierre, on boit du vin dans des tasses, on y mange de la charcuterie locale, du fromage d’alpage.
Ici, c’est l’autre Tessin… celui des produits du terroir, en lien avec le territoire et ses origines. Mais pas de fausse nostalgie, pas de regret mélancolique d’une époque révolue… car l’usage que l’on fait aujourd’hui du grotto est bien plus moderne qu’on veut bien le croire.
Plongée dans les maisons de pierre typique
Quelques explications s'imposent pour comprendre le phénomène. La racine latine cròta signifie voûte, crypte… ou encore, le mot grotte. L’histoire de ces «grottes» commence au Paléolithique, il y a 8000 à 10'000 ans, lorsque les glissements de terrain post-glaciaires faisaient chuter des gros blocs de pierre et créaient ainsi des dédales souterrains permettant aux flux d’air frais de circuler sous la roche.
Beaucoup plus tard, les autochtones recherchaient, tout comme nous, à se tenir au frais et scrutaient ces cavités adossées aux parois de la montagne munis d’une chandelle à la main, à la recherche d’un «fiadiré», un courant qui n’était ni trop fort, ni trop faible, capable de coucher la flamme de la bougie sans l’éteindre. Quand c'était le cas, ils obtenaient autrement dit un frigo des plus écolos pour y conserver charcuterie et fromage, qui n’étaient pas encore emballés dans du plastique. Et ils pouvaient surtout y maintenir au frais... leur précieux vin.
Les premier grottos étaient donc des caves naturellement fraîches creusées à même la montagne avec de petites portes en bois exploitées par les familles paysannes. On en trouve encore de nombreux exemples, notamment dans la Valmaggia. D’ailleurs, le musée du même nom organise de magnifiques itinéraires comprenant visites et pique-nique dans les caves.
Les grottos renferment l'histoire des immigrés
Puis avec le temps, les propriétaires des caves y adossèrent des masures, petites cabanes vétustes faites de pierre, toujours pour y conserver les aliments. Mais on les abandonna peu à peu à partir des années 1950 au profit de moyens de conservation plus modernes. Et avec le recul des pratiques viticoles et l’abandon progressif de l’agriculture, l’usage des grottos tessinois tomba peu à peu en désuétude.
Durant les Trente Glorieuses, on y logea chichement les ouvriers agricoles venus de Bergame et de Brescia pour faire les foins et travailler en tant que bûcherons. C’est alors que les immigrés logés sur place réinvestirent les lieux avec leurs habitudes et usages.
Durant leur temps de congé, ils jouaient aux cartes et aux bocce, sorte de pétanque à l’ombre des marronniers où l’on fait rouler les boules tout en trinquant à l’aide d’un petit pichet en porcelaine que l’on boit en le tenant par les anses, un boccalino, de Barbera (au Piemont). Et c’est ainsi qu’ils réinventèrent le grotto moderne!
Avec les années, cet usage est resté ancré dans les pratiques et une belle soirée d’été dans un grotto est synonyme de convivialité. Aujourd’hui, on peut dire qu’il en existe plusieurs sortes au Tessin, en partant du plus typique où on ne peut manger que de la charcuterie, du fromage et du vin, jusqu’aux grottos qui revisitent des plats traditionnels tessinois.
Quoiqu’il en soit, ce sont (presque) tous des lieux rustiques, situés dans les zones discrètes et ombragées. Certains grottos sont restés liés à la tradition du fromage, de la charcuterie, des aliments fermentés et des vins avec quelques plats typiques, de la polenta brasato (bœuf braisé), polenta coniglio (lapin), de la gazosa. D'autres établissements ressemblent plutôt à une petite trattoria, des restaurants où l’on peut manger un risotto, des costines ou encore… des frites (si, si… ça arrive!).
Mais si presque tous ont abandonné le boccalino pour un tazzin - le bol typique tessinois en céramique - le Barbera pour le Merlot, et que les terrains de bocce tendent à disparaître, l’état d’esprit est toujours aussi convivial, simple et typique pour manger des produits locaux et traditionnels.
Et on y mange bien!
Directeur de TicinoWine, l’organisme de promotion viticole tessinoise, Andrea Conconi estime que les grottos jouent aujourd’hui un rôle important dans la vie gastronomique du canton: «les grottos sont des lieux de promotion liés aux territoires. Ce sont des portes d’accès pour les produits du terroir qui participent non seulement à l’identité touristique du canton, mais également à une production plus locale et surtout de très grande qualité.»
Le responsable attire également l’attention sur ces divers types de grottos, car les deux répondent selon lui à une demande: «Certes, il y a les touristes en recherche d’authenticité, mais il y a aussi ceux qui veulent manger autre chose que de la charcuterie, il n’est donc pas rare que l’on retrouve également du roastbeef, des costines, du brasato et d’autres plats typiques de la cuisine tessinoise dans ce genre d’établissement.» Que l'on se rassure, lors d'une belle soirée sous les lampions à partager de la mortadella di fegato - la mortadelle de foie – un merlot blanc et une grappa, le Tessin possède encore tout ce qu’il faut pour permettre un retour aux sources.